Et comment, avec tant de fortune et tant de beauté !…
Ni l’une, ni l’autre n’ont suffi pour me faire aimer, et je veux y ajouter le talent pour compléter ma dot.
Pauvre enfant !
Oh ! n’est-ce pas, qu’au milieu de vos triomphes, de vos plaisirs, de vos amours, n’est-ce pas que vous garderez un souvenir à la pauvre exilée, qui aura tout quitté dans un seul but, et avec un seul espoir ?
Anna… chère Anna !…
N’est-ce pas que vous me permettrez de vous écrire, de vous raconter mes chagrins… mes travaux… mes progrès… car, j’en ferai, oh ! je vous le jure… oh ! surtout si, tout éloigné de moi que vous serez, vous voulez me conseiller, me soutenir.
Oh ! tout ce que je pourrai faire pour ma meilleure amie… je le ferai… soyez-en sûre… mais, quand partez-vous ?
Dans deux heures.
Et comment ?…
Ma place est retenue sur le paquebot le Washington.
Maître ?
Eh bien ?
Elle est montée par l’escalier dérobé, elle est entrée au moment où je m’y attendais le moins.
Qui ?…
Une dame.
Comment s’appelle-t-elle ?
Elle n’a voulu me dire que son prénom d’Elena.
Elena ! et où est-elle ?
Dans la chambre à côté, elle semble désespérée… elle veut vous voir absolument…
Ah ! mon Dieu… comment faire ?
C’est elle, n’est-ce pas ?
Oui.
On la dit bien belle. Laissez-moi la voir, Kean.
Oh ! cela ne se peut pas.
Ne craignez rien… je n’ai qu’une chose à lui demander, qu’une prière à lui faire… Je me jetterai à ses genoux, et je lui dirai : Rendez-le heureux, madame… car il vous aime bien !…
Non, non, Anna, cela est impossible, elle ne croirait jamais à l’innocence de nos relations… comment pourrait-elle penser, vous voyant si jeune et si belle… Oh ! entrez dans ce cabinet, je vous en prie… pardonnez-moi, Anna… pardonnez-moi…
Ai-je le droit de me plaindre ?
Scène V.
Maintenant, Salomon, fais entrer, fais entrer vite. — (Elena entre.) C’est vous, Elena… c’est vous… oh ! vous êtes donc venue, au risque de tout ce qui pouvait vous arriver… Oh ! si vous saviez comme je vous attendais !
J’ai hésité longtemps, je vous l’avouerai, Kean : mais notre danger commun…
Notre danger ?
Oui, une lettre pouvait être surprise, je tremblais que vous ne fussiez déjà arrêté.
Arrêté, moi… et pourquoi cela ?
Parce que le bruit commence à se répandre que ce n’est point un accès de folie, mais de colère, qui vous a fait insulter le prince royal et lord Mewill… On assure que ce dernier a vu, ce matin, le roi auquel il s’est plaint, et le ministre dont il a obtenu un mandat… Un procès terrible vous menace, Kean, fuyez, vous n’avez pas une minute à perdre… et cette nuit quittez Londres, quittez l’Angleterre,