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ADÈLE, entrant, pâle.

Clara… ma sœur… sois tranquille… je ne suis pas blessée. — (Au domestique.) Courez chercher un médecin… M. Olivier Delaunay, c’est le plus voisin… Ou plutôt passez d’abord chez La vicomtesse de Lancy, il y sera peut-être… Faites déposer le blessé en bas, dans le vestibule : allez. — (Il sort.) Clara ! Clara !… sais-tu que c’est lui… lui… Antony !

CLARA.

Antony !… Dieu !…

ADÈLE.

Et quel autre que lui aurait osé se jeter au-devant de deux chevaux emportés ?

CLARA.

Et comment !

ADÈLE.

Ne comprends-tu pas ? Il venait ici… le malheureux ! il aura eu le front brisé.

CLARA.

Mais es-tu sûr que ce soit lui ?

ADÈLE.

Oh ! si j’en suis sûre ! et n’ai-je pas eu le temps de le voir tandis qu’ils l’entraînaient ? n’ai-je pas eu le temps de le reconnaître tandis qu’ils le foulaient aux pieds ?

CLARA.

Oh !

ADÈLE.

Écoute, va près de lui, ou plutôt envoie quelqu’un ; et si tu doutes encore, dis qu’on m’apporte les papiers qu’il a sur lui, afin que je sache qui il est ; car il est évanoui, vois-tu, évanoui, peut être mort ! Mais va donc ! va donc ! et fais-moi donner de ses nouvelles. — (Clara sort.) De ses nouvelles ! oh ! c’est moi qui devrais en aller chercher !… c’est moi qui devrais être là pour lire dans les yeux du médecin sa mort ou sa vie ! Son cœur devrait recommencer à battre sous ma main, mes yeux devraient être les premiers qu’il rencontrât. N’est-ce pas pour moi ?… n’est-ce pas en me sauvant la vie !… Oh ! mon Dieu !… il y aurait là des étrangers, des indifférents, des gens au cœur froid qui épieraient ! Oh ! pour Dieu ! ne viendra-t-on pas me dire s’il est mort ou vivant ? — (À un domestique qui entre.) Eh bien ?

LE DOMESTIQUE, remettant un portefeuille et un petit poignard.

Pour madame.

ADÈLE.

Donnez. Comment va-t-il ? a-t-il ouvert les yeux ?

LE DOMESTIQUE.

Pas encore ; mais M. Delaunay vient d’arriver, il est près de lui.

ADÈLE.

Bien. Vous lui direz de monter, que je sache de lui-même… Allez. Si pourtant je m’étais trompée, si ce n’était pas lui… — (Ouvrant le portefeuille.) Dieu ! que j’ai bien fait… mon portrait ! Si un autre que moi avait ouvert ce portefeuille, mon portrait qu’il a fait de souvenir… Pauvre Antony, je ne suis plus si jolie que cela, va !… Dans ta pensée j’étais belle… j’étais heureuse… tu me retrouveras bien changée… J’ai tant souffert. — (Continuant ses recherches.) Une lettre de moi !… la seule que je lui aie écrite. — (Lisant.) Je lui disais que je l’aimais… Le malheureux… l’imprudent… Si je la reprenais… c’est le seul témoignage… il n’a qu’elle ; sans doute il l’a relue mille fois… c’est son bien, sa consolation… et je le lui ravirais ! Et quand, les yeux à peine rouverts… mourant pour moi… il portera la main à sa poitrine… ce ne sera pas sa blessure qu’il cherchera, ce sera cette lettre… il ne la trouvera plus… et c’est moi qui la lui aurai soustraite ! Oh ! ce serait affreux !… qu’il la garde… D’ailleurs, n’ai-je pas gardé les siennes, moi !… Son poignard, que je m’effrayais de lui voir porter toujours… j’ignorais que ce fût son pommeau qui lui servît de cachet et de devise… Je le reconnais bien à ces idées d’amour et de mort constamment mêlées… Antony !… Je n’y puis résister… il faut que j’aille… que je voie moi-même… Ah ! monsieur Olivier, venez, venez ! Eh bien ?


Scène III.

 

ADÈLE, OLIVIER DELAUNAY, puis ANTONY.
OLIVIER.

Rassurez-vous, madame ; l’accident, quoique grave, n’est point dangereux.

ADÈLE.

Dites-vous vrai ?

OLIVIER.

Je réponds du blessé… Vous en rapportez-vous à ma parole ?… Mais vous-même, la frayeur, le saisissement…

ADÈLE.

Est-il revenu à lui ?

OLIVIER.

Pas encore. Mais votre pâleur ?…

ADÈLE.

Pourquoi donc l’avez-vous quitté ?…

OLIVIER.

Un de mes amis est près de lui… On m’a dit que vous désiriez avoir des nouvelles sûres… Puis j’ai pensé que vous aviez peut-être besoin…