Oh ! regarde cette pendule ; elle va sonner onze heures.
Qu’elle sonne un de mes jours à chacune de ses minutes, et que je les passe près de vous…
Oh ! grâce ! grâce ! à mon tour, Antony… je n’ai plus de courage.
Un mot, un mot, un seul !… et je serai votre esclave… j’obéirai à votre geste, dût-il me chasser pour toujours… un mot, Adèle ; des années se sont passées dans l’espoir de ce mot !… si vous ne laissez pas en ce moment tomber de votre cœur cette parole d’amour… quand vous reverrai-je, quand serai-je aussi malheureux que je le suis ?… Oh ! si vous n’avez pas amour de moi, ayez pitié de moi !
Antony ! Antony !
Ferme les yeux… oublie les trois ans qui se sont passés ; ne te souviens que de ces moments de bonheur où j’étais près de toi, où je te disais : Adèle !… mon ange !… ma vie ! encore un mot d’amour… et où tu me répondais : Antony !… mon Antony !… oui, oui.
Antony ! mon Antony oui, oui, je t’aime…
Oh ! elle est à moi !… je l’ai reprise ; je suis heureux.
Heureux !… pauvre insensé !… onze heures !… onze heures, et Clara qui vient !… il faut nous quitter…
Oh ! dans ce moment j’aime mieux vous quitter que de vous voir devant quelqu’un.
Sois la bienvenue, Clara.
Oh ! je m’en vais… Merci… j’emporte là du bonheur pour une éternité… Adieu, Clara… ma bonne Clara !… Adieu, madame. — (Bas.) Quand vous reverrai-je ?…
Le sais-je !…
Demain, n’est-ce pas ?… Oh ! que c’est loin demain !…
Oui, demain… bientôt… plus tard.
Toujours… adieu…
Antony…
Que fais-tu ? du courage, du courage.
Oh ! j’en ai, ou plutôt j’en ai eu ; car il s’est usé dans mes dernières paroles. Oh ! si tu savais comme il m’aime, l’insensé !
As-tu préparé une lettre pour lui ?
Une lettre ? oui, la voilà
Donne.
Qu’elle est froide cette lettre ! qu’elle est cruellement froide !… Il m’accusera de fausseté. Eh ! le monde ne veut-il pas que je sois fausse ?… C’est ce que la société appelle devoir, vertu. Elle est parfaite, cette lettre. Tu la lui remettras…
Viens, viens, tout est prêt ; le domestique qui doit t’accompagner t’attend.
Bien. Par où faut-il que j’aille ?… Conduis-moi ; tu vois bien que suis prête à tomber, que je n’ai pas de forces, que je n’y vois plus.
Oh ! ma sœur ! songe à ton mari.
Je ne puis songer qu’à lui.
Songe à ta fille.
Ah ! oui, ma fille !
Embrasse-la, pense à elle ; et maintenant, maintenant, pars.
Oh ! Clara, Clara ! que tu dois me mépriser !… Ne me reconduis pas… je te parlerais encore de lui… Adieu, adieu ; prends soin de ma fille.
Le ciel te garde !