Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/118

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balle, l’affaire pour laquelle vous êtes venu ne se fera pas. — En vérité, tu as dix fois raison, Pitou. — Entendez-vous d’ici comme on brise et comme on crie ? continua Pitou encouragé ; le bois se déchire comme du papier, le fer se tord comme du chanvre. — C’est que le peuple est en colère, Pitou. — Mais, hasarda Pitou, il me semble que le roi l’est pas mal aussi, en colère. — Comment, le roi ? — Sans doute, les Autrichiens, les Allemands, les kaiserlicks, comme vous les appelez, sont les soldats du roi. Eh bien ! s’ils chargent sur le peuple, c’est le roi qui leur ordonne de charger. Et pour que le roi donne de pareils ordres, il faut bien qu’il soit en colère, lui aussi ? — Tu as à la fois raison et tort, Pitou. — Cela ne me paraît pas possible, cher monsieur Billot, et je n’ose pas vous dire que si vous eussiez étudié la logique, vous ne hasarderiez pas un pareil paradoxe. — Tu as raison et tu as tort, Pitou, et tu vas comprendre comment. — Je ne demande pas mieux ; mais je doute. — Vois-tu, Pitou, il y a deux partis à la cour : celui du roi, qui aime le peuple ; et celui de la reine, qui aime les Autrichiens. — C’est que le roi est Français et la reine Autrichienne, répondit philosophiquement Pitou. — Attends ! avec le roi il y a monsieur Turgot, monsieur Necker ; avec la reine il y a monsieur de Breteuil et les Polignac. Le roi n’est pas le maître, puisqu’il a été obligé de renvoyer monsieur Turgot et monsieur Necker. C’est donc la reine qui est la maîtresse, c’est-à-dire les Breteuil et les Polignac. Voilà pourquoi tout va mal. Vois-tu, Pitou, le mal vient de madame Déficit. Madame Déficit est en colère, et c’est en son nom que les troupes chargent ; les Autrichiens défendent l’Autrichienne : c’est tout simple. — Pardon, monsieur Billot, demanda Pitou, mais deficit est un mot latin qui veut dire il manque. Qu’est-ce qui manque donc ? — L’argent, mille dieux ! et c’est parce que l’argent manque ; c’est parce que les favoris de la reine ont mangé cet argent qui manque, qu’on appelle la reine madame Déficit. Ce n’est donc pas le roi qui est en colère, mais la reine. Le roi n’est que fâché, fâché que tout aille si mal. — Je comprends, dit Pitou ; mais la cassette ? — C’est vrai ! c’est vrai ! Pitou ; cette diablesse de politique m’entraîne toujours plus loin que je ne veux aller. Oui, la cassette avant tout. Tu as raison, Pitou, quand j’aurai vu le docteur Gilbert, eh bien ! nous en reviendrons à la politique. C’est un devoir sacré. — Il n’y a rien de plus sacré que les devoirs sacrés, dit Pitou. — Allons nous-en donc au collège Louis-le-Grand, où se trouve Sébastien Gilbert, dit Billot. — Allons, répondit Pitou en soupirant, car il lui fallait quitter un lit de gazon moelleux, auquel il s’était accoutumé.

En outre, malgré la terrible surexcitation de la soirée, le sommeil, hôte assidu des consciences pures et des reins moulus, descendait avec tous ses pavots sur le vertueux et sur le moulu Ange Pitou.