Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/122

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Le principal se jeta à genoux entre les écoliers et les envahisseurs, et passant ses bras suppliants par les grilles :

— Oh ! mes amis ! mes amis ! criait-il, respectez ces enfants ! — Si nous les respectons ! dit un garde-française ; je crois bien ! Ce sont de jolis garçons qui feront l’exercice comme des anges. — Mes amis ! mes amis ! Ces enfants sont un dépôt que leurs parents m’ont confié ; je réponds d’eux ; leurs parents comptent sur moi ; je leur dois ma vie ; mais, au nom du ciel ! n’emmenez pas ces enfants.

Des huées parties du fond de la rue, c’est-à-dire des derniers rangs de la foule, accueillirent ses supplications douloureuses.

Billot s’élança à son tour, et s’opposant aux gardes françaises, à la foule, aux écoliers eux-mêmes :

— Il a raison, c’est un dépôt sacré ; que les hommes se battent, que les hommes se fassent tuer, mille dieux ! mais que les enfants vivent ; il faut de la semence pour l’avenir.

Un murmure improbateur accueillit ces mots.

— Qui est-ce qui murmure ? cria Billot ; à coup sûr ce n’est pas un père. Moi qui vous parle, j’ai eu hier deux hommes tués dans mes bras ; voici leur sang sur ma chemise. Voyez  !

Et il montra sa veste et sa chemise ensanglantées, avec un mouvement de grandeur qui électrisa l’assemblée.

— Hier, continua Billot, je me suis battu au Palais-Royal et aux Tuileries ; et cet enfant aussi s’est battu, mais cet enfant n’a ni père ni mère ; d’ailleurs, c’est presque un homme.

Et il montrait Pitou qui se rengorgeait.

— Aujourd’hui, continua Billot, je me battrai encore, mais que nul ne vienne dire : Les Parisiens n’étaient pas assez forts contre les soldats étrangers, et ils ont appelé les enfants à leur aide. — Oui ! oui ! s’écrièrent de tous côtés des voix de femmes et de soldats. Il a raison. Enfants ! rentrez, rentrez ! — Oh ! merci, merci, Monsieur, murmura le principal en essayant de saisir les mains de Billot à travers la grille. — Et surtout, entre tous, gardez bien Sébastien, dit celui-ci. — Moi ! me garder ! Eh bien ! moi, je dis qu’on ne me gardera pas ! s’écria le jeune homme, livide de colère et se débattant aux mains des garçons de service qui l’emportaient. — Laissez-moi entrer, dit Billot, je me charge de le calmer.

La foule s’écarta.

Le fermier tira derrière lui Ange Pitou et pénétra dans la cour du collége.

Déjà trois ou quatre gardes-françaises et une dizaine de factionnaires gardaient les portes et fermaient toute sortie aux jeunes insurgés.