Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/104

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Qu’était devenu Pitou ? qu’était devenue Margot ?

Tout en portant sa civière, Billot retourna la tête, et, à la lueur des flambeaux qui accompagnaient et éclairaient le cortége, à la lueur des lampions qui illuminaient toutes les fenêtres, il aperçut au milieu du cortége une espèce d’éminence ambulante formée de cinq ou six hommes gesticulant et criant.

Au milieu de ces gesticulations et de ces cris, il était facile de distinguer la voix et de reconnaître les longs bras de Pitou.

Pitou faisait ce qu’il pouvait pour défendre Margot, mais, malgré ses efforts, Margot avait été envahie. Margot ne portait plus Billot et Pitou, poids fort honorable déjà pour la pauvre bête.

Margot portait tout ce qui avait pu tenir sur son dos, sur sa croupe, sur son cou et sur son garrot.

Margot ressemblait, dans la nuit qui grandit à fantaisie tous les objets, à un éléphant chargé de chasseurs allant à la battue du tigre.

La vaste échine de Margot avait cinq ou six énergumènes qui s’y étaient établis en criant : Vive Necker ! vive le duc d’Orléans ! À bas les étrangers !

Ce à quoi Pitou répondait :

— Vous allez étouffer Margot.

L’ivresse était générale.

Billot eut un instant l’idée d’aller porter secours à Pitou et à Margot ; mais il réfléchit que s’il renonçait un instant à l’honneur qu’il avait conquis de porter un des bâtons de la civière, il ne rattraperait peut-être plus son bâton. Puis il songea, au bout du compte, que par le troc projeté avec le père Lefranc de Cadet contre Margot, Margot lui appartenait, et que, dût-il arriver malheur à Margot, au bout du compte, c’était une affaire de trois ou quatre cents livres, et que lui Billot était bien assez riche pour faire le sacrifice de trois ou quatre cents livres à la patrie.

Pendant ce temps, le cortége marchait toujours, il avait obliqué à gauche et était descendu, par la rue Montmartre, jusqu’à la place des Victoires. Arrivé au Palais-Royal, un grand encombrement empêchait de passer ; une troupe d’hommes avec des feuilles vertes aux chapeaux criaient : Aux armes !

Il fallait se reconnaître ; ces hommes qui encombraient la rue Vivienne étaient-ils amis ou ennemis ? Le vert était la couleur du comte d’Artois. Pourquoi les cocardes vertes ?

Après un instant de conférences, tout s’expliqua.

En apprenant le renvoi de Necker, un jeune homme était sorti du café Foy, était monté sur une table, et avait, en montrant un pistolet, crié : Aux armes !