Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/114

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Billot jeta les yeux autour de lui pour voir s’il y avait moyen de faire résistance. La place était à peu près vide.

— Allons, dit-il, au collége Louis-le-Grand.

Et il prit la rue de Chartres, suivi de Pitou, qui, ignorant l’usage du porte-mousqueton scellé à la ceinture, traînait son grand sabre.

— Mille dieux ! dit Billot, tu as l’air d’un marchand de ferraille. Accroche-moi donc cette latte. — Où ? demanda Pitou. — Eh ! pardieu ! là, dit Billot.

Et il suspendit le sabre de Pitou à son ceinturon, ce qui donna à celui-ci une célérité de marche qu’il n’eût pu atteindre sans cet expédient.

La route se fit sans inconvénient jusqu’à la place Louis XV ; mais là, Billot et Pitou retrouvèrent la colonne qui se rendait aux Invalides, et qui fut arrêtée court.

— Eh bien ! demanda Billot, qu’y a-t-il donc ? — Il y a qu’on ne passe pas au pont Louis XV. — Et sur les quais ? — Sur les quais non plus. — Et à travers les Champs Élysées ? — Non plus. — Alors, retournons sur nos pas et passons par le pont des Tuileries.

La proposition était toute simple, et la foule, en suivant Billot, montra qu’elle était prête à y accéder ; mais des sabres luisaient à moitié chemin à peu près du jardin des Tuileries. Le quai était coupé par un escadron de dragons.

— Ah çà ! mais ces maudits dragons, ils sont donc partout ? murmura le fermier. — Dites donc, cher monsieur Billot, dit Pitou, je crois que nous sommes pris. — Bah ! dit Billot, on ne prend pas cinq ou six mille hommes, et nous sommes cinq ou six mille au moins.

Les dragons du quai s’avançaient lentement, il est vrai, au petit pas, mais ils s’avançaient visiblement.

— Il nous reste la rue Royale, dit Billot. Viens par ici, viens, Pitou.

Pitou suivit le fermier comme son ombre.

Mais une ligne de soldats fermait la rue, à la hauteur de la porte Saint-Honoré.

— Ah ! ah ! dit Billot, tu pourrais bien avoir raison, Pitou, mon ami. — Hein ! se contenta de dire Pitou.

Mais ce seul mot exprimait, par l’accent avec lequel il avait été prononcé, tout le regret qu’éprouvait Pitou de ne pas s’être trompé.

La foule, par ses agitations et ses clameurs, prouvait qu’elle n’était pas moins sensible que Pitou à la situation dans laquelle elle se trouvait.

En effet, par une habile manœuvre, le prince de Lambesc venait d’envelopper curieux et rebelles, au nombre de cinq ou six mille, et, fermant le pont Louis XV, les quais, les Champs Élysées, la rue Royale et les Feuillants, il les tenait enfermés dans un grand arc de fer, dont la corde