Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/116

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céda, tournant violemment sur ses gonds, et dans cette gueule béante et sombre la foule s’engouffra.

Au mouvement qui se fit, le prince de Lambesc s’aperçut qu’une issue était ouverte à ceux qu’il croyait ses prisonniers. La colère s’empara de lui. Il fit faire un bond en avant à son cheval, pour mieux juger de la situation. Les dragons échelonnés derrière lui crurent que l’ordre de charger leur était donné, et le suivirent. Les chevaux, déjà échauffés, ne purent modérer leur course ; les hommes, qui avaient à prendre une revanche de leur échec de la place du Palais-Royal, n’essayèrent probablement pas de les retenir.

Le prince vit qu’il lui serait impossible de modérer le mouvement, se laissa emporter, et une clameur déchirante poussée par les femmes et les enfants monta au ciel pour demander vengeance à Dieu.

Il se passa, au milieu de l’obscurité, une scène effroyable. Ceux que l’on chargeait devinrent fous de douleur, ceux qui chargeaient fous de colère.

Alors une espèce de défense s’organisa du haut des terrasses, les chaises volèrent sur les dragons. Le prince de Lambesc, atteint à la tête, riposta par un coup de sabre, sans songer qu’il frappait un innocent au lieu de punir un coupable, et un vieillard de soixante-dix ans tomba.

Billot vit tomber l’homme et jeta un cri.

En même temps sa carabine fut à son épaule, un sillon de feu traversa l’obscurité, et le prince était mort si le hasard n’eût fait au même instant cabrer son cheval.

Le cheval reçut la balle dans le cou et s’abattit.

On crut le prince tué. Alors les dragons s’élancèrent dans les Tuileries, poursuivant les fugitifs à coups de pistolet.

Mais les fugitifs, ayant désormais un grand espace, s’éparpillèrent sous les arbres.

Billot rechargea tranquillement sa carabine.

— Ma foi ! tu avais raison, Pitou, dit-il, je crois que nous sommes arrivés à temps. — Si j’allais être brave, dit Pitou en déchargeant son mousqueton au plus épais des dragons ; il me semble que ce n’est pas si difficile que je le croyais. — Oui, dit Billot ; mais la bravoure inutile n’est pas de la bravoure. Viens par ici, Pitou, et prends garde de t’emmêler les jambes dans ton sabre. — Attendez-moi, cher monsieur Billot. Si je vous perdais, je ne saurais plus où aller. Je ne connais pas Paris comme vous, moi ; je n’y suis jamais venu. — Viens, viens, dit Billot, et il prit la terrasse du bord de l’eau, jusqu’à ce qu’il eût dépassé la ligne des troupes qui s’avançaient par les quais, mais cette fois aussi rapidement qu’elles pouvaient, pour prêter main-forte, si besoin était, aux dragons du prince de Lambesc.