Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/140

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— Je veux parler à monsieur de Flesselles, dit Billot, s’apercevant que l’huissier s’approchait de lui pour lui demander ce qu’il désirait. — Impossible ! répondit l’huissier ; il s’occupe à compléter les cadres d’une milice bourgeoise que la ville organise en ce moment. — Cela tombe à merveille, dit Billot ; moi aussi j’organise une milice, et comme j’ai déjà trois mille hommes enrégimentés, je vaux monsieur de Flesselles, qui n’a pas un soldat sur pied. Faites-moi donc parler à monsieur de Flesselles, et cela à l’instant même. Oh ! regardez par la fenêtre, si vous voulez.

L’huissier jetait en effet un coup d’œil rapide sur les quais, et il avait aperçu les hommes de Billot. Il se hâta donc d’aller prévenir le prévôt des marchands, auquel il montra, comme apostille à son message, les trois mille hommes en question.

Cela inspira au prévôt une sorte de respect pour celui qui voulait lui parler ; il sortit du conseil, et vint dans l’antichambre, cherchant des yeux.

Il aperçut Billot, le devina, et sourit.

— C’est vous qui me demandez ? dit-il. — Vous êtes monsieur de Flesselles, prévôt des marchands ? répliqua Billot. — Oui, Monsieur. Qu’y a-t-il pour votre service ? Hâtez-vous seulement, car j’ai la tête fort occupée. — Monsieur le prévôt, demanda Billot, combien y a-t-il de pouvoirs en France ? — Dam ! c’est selon comme vous l’entendrez, mon cher Monsieur, répondit Flesselles. — Dites comme vous l’entendez vous-même. — Si vous consultez monsieur Bailly, il vous dira qu’il n’y en a qu’un : l’Assemblée nationale ; si vous consultez monsieur de Dreux-Brézé, il vous dira qu’il n’y a qu’un : le roi. — Et vous, monsieur le prévôt, entre ces deux opinions, quelle est la vôtre ? — Mon opinion, à moi, est aussi qu’en ce moment surtout il n’y en a qu’un. — L’Assemblée, ou le roi ? demanda Billot. — Ni l’un ni l’autre : la nation, répondit Flesselles en chiffonnant son jabot. — Ah ! ah ! la nation ? fit le fermier. — Oui, c’est-à-dire ces Messieurs qui attendent en bas sur la place avec des couteaux et des broches ; la nation, c’est-à-dire pour moi tout le monde. — Vous pourriez bien avoir raison, monsieur de Flesselles, répondit Billot, si ce n’est pas à tort que l’on me disait que vous étiez un homme d’esprit.

Flesselles s’inclina.

— Auquel de ces trois pouvoirs comptez-vous en appeler, monsieur ? demanda Flesselles. — Ma foi ! dit Billot, je crois que le plus simple, quand on a quelque chose à demander d’important, c’est de s’adresser au bon Dieu, et non pas à ses saints. — Ce qui veut dire que vous allez vous adresser au roi ? — J’en ai envie. — Et serait-ce indiscret de savoir ce que vous comptez demander au roi ? — La liberté du docteur Gilbert, qui est à la Bastille. — Le docteur Gilbert ? demanda insolemment Fies-