Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/142

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tendons—nous ; j’ai affaire ici pour un quart d’heure encore, et j’aime autant, si cela vous est indifférent, que la distribution ne commence que lorsque je serai parti. On m’a prédit que je mourrais de mort violente, mais j’ai une énorme répugnance à sauter en l’air, je l’avoue. — Soit, dans un quart d’heure. Mais, à mon tour, une prière. — Laquelle ?

— Approchons-nous tous deux de cette fenêtre. — À quel propos ? — Je veux vous rendre populaire. — Grand merci ; et de quelle façon ? — Vous allez voir.

Billot conduisit le prévôt à la fenêtre.

— Amis, dit-il, vous voulez toujours prendre la Bastille, n’est-ce pas ?

— Oui, oui, oui ! crièrent trois à quatre mille voix. — Mais il vous manque de la poudre, n’est-ce pas ? — Oui ! De la poudre ! de la poudre !

— Eh bien ! voici monsieur le prévôt des marchands qui veut bien nous donner celle qui est dans les caves de l’hôtel de ville. Remerciez-le, mes amis. — Vive monsieur le prévôt des marchands ! vive monsieur de Flesselles ! hurla toute la foule. — Merci ! merci pour moi, merci pour lui ! — Maintenant, Monsieur, dit Billot, je n’ai plus besoin de vous prendre au collet, ni seul à seul ni devant tout le monde ; car si vous ne me donnez pas la poudre, la nation, comme vous l’appelez, la nation vous mettra en pièces. — Voici les clés. Monsieur, dit le prévôt ; vous avez une manière de demander qui n’admet pas les refus. — En ce cas, vous m’encouragez, dit Billot, qui paraissait mûrir un nouveau projet.

— Ah diable ! auriez-vous encore quelque chose à me demander ? — Oui. Connaissez-vous le gouverneur de la Bastille ? — Monsieur de Launay ? — Je ne sais pas comment il s’appelle. — Il s’appelle monsieur de Launay. — Soit. Connaissez-vous monsieur de Launay ? — C’est un de mes amis. — En ce cas, vous devez désirer qu’il ne lui arrive pas malheur. — Je le désire, en effet. — Eh bien ! un moyen qu’il ne lui arrive pas malheur, c’est qu’il me rende la Bastille, ou tout au moins le docteur. — Vous n’espérez pas que j’aurai l’influence de l’amenei à vous rendre, ou son prisonnier, ou sa forteresse, n’est-ce pas ? — Cela me regarde ; je ne vous demande qu’une introduction auprès de lui. — Mon cher monsieur Billot, je vous préviens que si vous entrez à la Bastille, vous y entrerez seul. — Très-bien ! — Je vous préviens, en outre, qu’en y entrant seul vous n’en sortirez peut-être pas. — À merveille !

— Je vais vous donner votre laissez-passer pour la Bastille. — J’attends.

— Mais à une condition encore. — Laquelle ? — C’est que vous ne viendrez pas me demander demain un laissez-passer pour la lune. Je vohs préviens que je ne connais personne dans ce monde-là. — Flesselles ! Flesselles ! dit une voix sourde et grondante derrière le prévôt des marchands, si tu continues d’avoir deux visages, un qui rit aux aristocrates,