Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/156

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ils retrouvaient un instant l’air, les fleurs, la lumière, la nature enfin. Il avait loué ce petit jardin à un jardinier, et, pour cinquante livres par an qu’il en recevait, il avait volé aux prisonniers cette dernière jouissance.

Il est vrai que pour les prisonniers riches il avait des complaisances extrêmes ; il conduisait l’un d’eux chez sa maîtresse à lui, qui était mise dans ses meubles et entretenue ainsi sans qu’il lui en coûtât rien, à lui de Launay.

Voyez la Bastille dévoilée, et vous y trouverez ce fait et bien d’autres encore.

Avec cela cet homme était brave.

Depuis la veille l’orage grondait autour de lui. Depuis la veille il sentait la vague de l’émeute, qui venait montant toujours, battre le pied de ses murailles.

Et cependant il était pâle, mais calme.

Il est vrai qu’il avait derrière lui quatre pièces de canon prêtes à faire feu ; autour de lui une garnison de suisses et d’invalides, devant lui seulement un homme désarmé.

Car, en entrant à la Bastille, Billot avait donné sa carabine à garder à Pitou.

Il avait compris que, de l’autre côté de cette grille qu’il apercevait, une arme quelconque lui était plus dangereuse qu’utile. Billot d’un coup d’œil remarqua tout : l’attitude calme et presque menaçante du gouverneur ; les suisses disposés dans les corps de gardes ; les invalides sur les plaies-formes, et la silencieuse agitation des artilleurs qui garnissaient de gargousses les réservoirs de leurs fourgons. Les sentinelles tenaient l’arme au bras, les officiers avaient l’épée nue. Le gouverneur resta immobile. Billot fut forcé d’aller jusqu’à lui ; la grille se referma derrière le parlementaire du peuple avec un bruit sinistre de fer grinçant qui lui fit, si brave qu’il fût, passer un frisson dans la moelle des os.

— Que me voulez-vous encore ? demanda de Launay. — Encore, répéta Billot, il me semble cependant que c’est la première fois que je vous vois, et que par conséquent vous n’avez pas le droit d’être fatigué de ma vue. — C’est qu’on me dit que vous venez de l’hôtel de ville. — C’est vrai, j’en viens. — Eh bien ! tout à l’heure, j’ai déjà reçu une députation de la municipalité. — Que venait-elle faire ? — Elle venait me demander la promesse de ne pas commencer le feu. — Et vous avez promis ? — Oui. Elle venait me demander de faire reculer les canons. — fit vous les avez fait reculer, je sais cela ; j’étais sur la place de la Bastille quand la manœuvre s’est opérée. — Et vous avez cru sans doute que j’obéissais