Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/157

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aux menaces de ce peuple ? — Dam ! fit Billot, cela en avait bien l’air. — Quand je vous le disais, Messieurs, s’écria de Launay en se retournant vers les officiers ; quand je vous disais qu’on nous croirait capable de cette lâcheté.

Puis, se retournant vers Billot :

— Et vous, de quelle part venez-vous ? — De la part du peuple, répondit fièrement Billot. — C’est bien, dit en souriant de Launay ; mais vous avez encore quelqu’autre recommandation, je suppose ; car, avec celle que vous invoquez, vous n’eussiez pas traversé la première ligne des sentinelles. — Oui, j’ai un sauf-conduit de monsieur de Flesselles, votre ami. — Flesselles ! Vous avez dit qu’il était mon ami ? repartit de Launay en regardant Billot comme s’il eût voulu lire au plus profond de son cœur. D’où savez-vous si monsieur de Flesselles est mon ami ? — Mais j’ai supposé qu’il l’était. — Supposé. Voilà tout. C’est bien. Voyons le sauf-conduit.

Billot présenta le papier.

De Launay le lut une première fois, puis une seconde, l’ouvrit pour voir s’il ne contenait pas quelque post-scriptum caché entre les deux pages, le présenta au jour pour voir s’il ne cachait pas quelques lignes tracées entre les lignes.

— Et voilà tout ce qu’il me dit ? demanda-t-il. — Tout. — Vous êtes sûr ? — Parfaitement sûr. — Rien de verbal ? — Rien. — C’est étrange ! dit de Launay, en plongeant par une des meurtrières son regard sur la place de la Bastille. — Mais que voulez-vous donc qu’il vous fît dire ? demanda Billot.

De Launay fit un mouvement.

— Rien, au fait ; rien. Voyons, dites ce que vous voulez ; mais dépêchez-vous, je suis pressé. — Eh bien ! je veux que vous nous rendiez la Bastille. — Plaît-il ? fit de Launay en se retournant vivement comme s’il avait mal entendu ; vous dites ?… — Je dis qu’au nom du peuple je viens vous sommer de rendre la Bastille.

De Launay haussa les épaules.

— C’est en vérité un étrange animal que le peuple, dit-il. — Hein ! fit Billot. — Et qu’en veut-il faire de la Bastille ? — Il veut la démolir. — Et que diable lui fait la Bastille, à ce peuple ! Est-ce qu’un homme du peuple a jamais été mis à la Bastille ? La Bastille ! le peuple, au contraire, en devrait bénir chaque pierre. Qui met-on à la Bastille ? les philosophes, les savants, les aristocrates, les ministres, les princes, c’est-à-dire les ennemis du peuple. — Eh bien ! cela prouve que le peuple n’est pas égoïste. — Mon ami, dit de Launay avec une espèce de commisération, il est facile de voir que vous n’êtes pas soldat. — Vous avez raison, je