Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/16

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
4
MÉMOIRES D’UN MÉDECIN.

Cette maison était celle du chapelain du château, lequel, en même temps qu’il desservait l’église seigneuriale où, malgré l’absence du maître, on disait la messe tous les dimanches, tenait encore une petite pension à laquelle, par une faveur toute spéciale, étaient attachées deux bourses ; l’une pour le collège du Plessis, l’autre pour le séminaire de Soissons. Il va sans dire que c’était la famille d’Orléans qui faisait les frais de ces deux bourses, fondées, celle du séminaire, par le fils du régent, celle du collège par le père du prince, et que ces deux bourses étaient l’objet de l’ambition des parents, et faisaient le désespoir des élèves, pour lesquels elles étaient une source de compositions extraordinaires, compositions qui avaient lieu le jeudi de chaque semaine.

Or, un jeudi du mois de juillet 1789, jour assez maussade, assombri qu’il était par un orage qui courait de l’ouest à l’est, et sous le vent duquel les deux magnifiques acacias dont nous avons déjà parlé, perdant déjà la virginité de leur robe printanière, laissaient échapper quelques petites feuilles jaunies par les premières chaleurs de l’été ; après un silence assez long, interrompu seulement par le froissement de ces feuilles qui s’entrechoquaient en tournoyant sur le sol battu de la place, et par le chant d’un friquet qui poursuivait les mouches rasant la terre, onze heures sonnèrent au clocher pointu et ardoisé de la ville.

Aussitôt, un hourra pareil à celui que pousserait un régiment de hulans tout entier, accompagné d’un retentissement semblable à celui que l’avalanche fait entendre en bondissant de rochers en rochers, retentit : la porte placée entre les deux acacias s’ouvrit ou plutôt s’effondra, et donna passage à un torrent d’enfants qui se répandit sur la place, où presque aussitôt cinq ou six groupes joyeux et bruyants se formèrent, les uns autour d’un cercle destiné à retenir les toupies prisonnières, les autres devant un jeu de marelle tracé à la craie blanche, les autres enfin en face de plusieurs trous creusés régulièrement et dans lesquels la balle en s’arrêtant faisait gagner ou perdre ceux par lesquels la balle avait été poussée.

En même temps que les écoliers joueurs, décorés par les voisins dont les rares fenêtres donnaient sur cette place du nom de mauvais sujets, et qui, étant généralement vêtus de culottes trouées aux genoux et de vestes percées aux coudes, s’arrêtaient sur la place, on voyait ceux qu’on appelait les écoliers raisonnables, ceux qui, au dire des commères, devaient faire la joie et l’orgueil de leurs parents, se détacher de la masse, et par diverses routes, d’un pas dont la lenteur dénonçait le regret, regagner, leur panier à la main, la maison paternelle où les attendait la tartine de beurre ou de confiture, destinée à faire compensation aux jeux auxquels ils venaient de renoncer. Ceux-là étaient de