Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/160

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mais dont les derniers anneaux se perdaient dans les replis du terrain sur lequel il rampait.

Et tout ce qu’on voyait du gigantesque reptile ruisselait d’écaillés lumineuses.

C’était la double troupe à laquelle Billot avait donné rendez-vous sur la place de la Bastille, conduite, l’une, par Marat, l’autre, par Gonchon. Des deux côtés elle s’avançait en agitant ses armes et en poussant des cris terribles.

De Launay pâlit à cette vue, et levant sa canne :

— À vos pièces ! cria-t-il.

Puis s’avançant sur Billot avec un geste de menace :

— Et vous, malheureux ! dit-il, vous qui venez ici sous prétexte de parlementer, tandis que les autres attaquent, savez-vous que vous méritez la mort ?

Billot vit le mouvement, et, rapide comme l’éclair, saisissant de Launay au collet et à la ceinture :

— Et vous, dit-il en le soulevant de terre, vous mériteriez que je vous envoyasse par-dessus le parapet vous briser au fond des fossés. Mais, Dieu merci ! je vous combattrai d’une autre façon. En ce moment une clameur immense, universelle, montant de bas en haut, passa dans l’air comme un ouragan, et monsieur de Losme, major de la Bastille, apparut sur la plate-forme.

— Monsieur ! s’écria-t-il, s’adressant à Billot ; Monsieur, de grâce ! montrez-vous ; tout ce peuple croit qu’il vous est arrivé malheur, et vous redemande.

En effet, le nom de Billot, répandu par Pitou dans la foule, montait parmi les clameurs.

Billot lâcha monsieur de Launay, qui repoussa sa canne au fourreau. Puis il y eut, entre ces trois hommes, un moment d’hésitation pendant lequel se firent entendre des cris de menace et de vengeance.

— Montrez-vous donc. Monsieur, dit de Launay, non pas que ces clamears m’intimident, mais afin que l’on sache que je suis un homme loyal.

Alors Billot passa la tête à travers les créneaux, faisant un signe de la main.

À cette vue, le peuple éclata en applaudissements. C’était en quelque sorte la révolution qui surgissait du front de la Bastille dans la personne de cet homme du peuple, qui le premier foulait sa plate-forme en dominateur.

— C’est bien. Monsieur, dit alors de Launay : tout est fini entre nous ; vous n’avez plus rien à faire ici. On vous demande là-bas ; descendez. ?