Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/207

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n’accordent à la femme que la fraternité qui rassure, au lieu du respect qui sourit.

Puis, d’un regard rapide à son tour, il analysa toute la personne de la jeune femme déjà célèbre, et dont les traits intelligents et pleins d’expression manquaient absolument de charme ; tête de jeune homme insignifiant et trivial, plutôt que tête de femme sur un corps plein de voluptueuse luxuriance.

Elle tenait à la main une branche de grenadier, dont, dans sa distraction, elle s’amusait à manger les fleurs.

— C’est vous. Monsieur, demanda la baronne, qui êtes le docteur Gilbert ? — C’est moi, oui, Madame. — Si jeune ; vous avez déjà acquis une bien grande réputation, ou plutôt cette réputation n’appartiendrait-elle pas à votre père ou à quelque parent plus âgé que vous ? — Je ne connais pas d’autre Gilbert que moi. Madame. Et si en effet il y a, connue vous le dites, quelque peu de réputation attachée à ce nom, j’ai tout droit de la revendiquer. — Vous vous êtes servi du nom du marquis de Lafayette pour pénétrer jusqu’à moi, Monsieur. Et en effet, le marquis nous a parlé de vous, de votre science inépuisable.

Gilbert s’inclina.

— Science d’autant plus remarquable, d’autant plus pleine d’intérêt, surtout, continua la baronne, qu’il paraît, Monsieur, que vous n’êtes pas un chimiste ordinaire, un praticien comme les autres, et que vous avez sondé tous les mystères de la science de vie. — Monsieur le marquis de Lafayette vous aura dit, je le vois bien, Madame, que j’étais un peu sorcier, répliqua Gilbert en souriant, et s’il vous l’a dit, je lui sais assez d’esprit pour vous l’avoir prouvé, s’il l’a voulu. — En effet. Monsieur, il nous a parlé de cures merveilleuses que vous fîtes souvent, soit sur le champ de bataille, soit dans les hôpitaux américains, sur des sujets désespérés ; vous les plongiez, nous a dit le général, dans une mort factice si semblable à la mort réelle, que parfois celle-ci s’y trompait. — Cette mort factice. Madame, c’est le résultat d’une science presque inconnue confiée aujourd’hui aux mains de quelques adeptes seulement, mais qui finira par devenir vulgaire. — Du mesmérisme, n’est-ce pas ? demanda madame de Staël en souriant. — Du mesmérisme, oui, c’est cela. — Auriez-vous pris des leçons du maître lui-même ? — Hélas ! Madame, Mesmer lui-même n’était que l’écolier. Le mesmérisme, ou plutôt le magnétisme, était une science antique connue des Égyptiens et des Grecs. Elle s’est perdue dans l’océan du moyen âge. Shakspeare la devine dans Macbeth. Urbain Grandier la retrouve, et meurt pour l’avoir retrouvée. Mais le grand maître, mon maître à moi, c’est le comte de Cagliostro. — Ce charlatan ! dit madame de Staël. — Madame,