Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/212

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c’est un ennemi que je me fais. Je dois donc avoir paré le coup. Le contraire m’étonnerait bien. Voyons, G…, G…, c’est cela, oui, Gilbert. Cela vous vient de la maison de la reine, mon cher Monsieur. — Ah ! ah ! de la maison de la reine ? — Oui, demande d’une lettre de cachet contre le nommé Gilbert. Pas de profession. Yeux noirs, cheveux noirs. Suit le signalement. Se rendant du Havre à Paris, voilà tout. Alors, ce Gilbert c’était vous ? — C’était moi. Pouvez-vous me confier la. lettre ? — Non, mais je puis vous dire de qui elle est signée. — Dites. — Comtesse de Charny. — Comtesse de Charny, répéta Gilbert ; je ne la connais pas, je ne lui ai rien fait.

Et il releva doucement la tête comme pour chercher dans ses souvenirs.

— Il y a en outre une petite apostille sans signature, mais d’une écriture à moi connue. Voyez.

Gilbert se pencha, et lut à la marge de la lettre ; « Faire sans retard ce que demande la comtesse de Charny. »

— C’est étrange, dit Gilbert ; la reine, je conçois encore cela, il était question d’elle et des Polignac dans mon mémoire. Mais cette madame de Charny… — Vous ne la connaissez pas ? — Il faut que ce soit un prête-nom. Au reste, rien d’étonnant, vous comprenez, que les notabilités de Versailles me soient inconnues : il y a quinze ans que je suis absent de France ; je n’y suis revenu que deux fois, et je l’ai quittée à cette seconde fois, voici tantôt quatre ans. Qui est-ce que cette comtesse de Charny, s’il vous plaît ? — L’amie, la confidente, l’intime de la reine ; la femme très-adorée du comte de Charny, une beauté et une vertu à la fois, un prodige enfin. — Eh bien ! je ne connais pas ce prodige. — S’il en est ainsi, mon cher docteur, arrêtez-vous à ceci, que vous êtes le jouet de quelque intrigue politique. N’avez-vous point parlé du comte de Cagliostro ? — Oui. — Vous l’avez connu ? — Il a été mon ami ; plus que mon ami, mon maître ; plus que mon maître, mon sauveur. — Eh bien ! l’Autriche ou le Saint-Siège aura demandé votre incarcération. Vous avez écrit des brochures ? — Hélas ! oui. — Précisément. Toutes ces petites vengeances tournent à la reine, comme l’aiguille au pôle, le fer à l’aimant. On a comploté contre vous ; on vous a fait suivre. La reine a chargé madame de Charny de signer la lettre afin d’éloigner les soupçons ; et voilà le mystère à jour. Gilbert réfléchit un instant.

Cet instant de réflexion lui remit en mémoire cette cassette volée chez Billot, à Pisseleux, et dans laquelle ni la reine, ni l’Autriche, ni le Saint-Siège n’avaient rien à faire. Ce souvenir le remit dans la bonne voie.