Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/218

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Car Versailles a, de tous les temps, été une ville royaliste. Cette religion de la monarchie, sinon du monarque, est incrustée au cœur de ses habitants comme une des réalités du terroir. Ayant vécu près des rois et par les rois, à l’ombre de leurs merveilles ; ayant toujours respiré l’enivrant parfum des fleurs de lis, vu briller l’or des habits et le sourire des visages augustes, les habitants de Versailles, à qui les rois ont fait une ville de marbre et de porphyre, se sentent un peu rois eux-mêmes ; et aujourd’hui, aujourd’hui encore qu’entre les marbres apparaît la mousse, qu’entre les dalles a poussé l’herbe ; aujourd’hui que l’or est prêt à disparaître des boiseries, que l’ombre des parcs est plus solitaire que celle des tombeaux, Versailles, ou mentirait à son origine, ou doit se regarder comme un fragment de la royauté déchue, et n’ayant plus l’orgueil de la puissance et de la richesse, conserver au moins la poésie du regret et le charme souverain de la mélancolie.

Donc, comme nous l’avons dit, tout Versailles, dans cette nuit du 14 au 15 juillet 1789, s’agitait confusément pour savoir comment le roi de France allait prendre cette insulte faite à sa couronne, cette meurtrissure infligée à son pouvoir.

Par sa réponse à monsieur de Dreux-Brézé, Mirabeau avait frappé la royauté au visage.

Par la prise de la Bastille, le peuple venait de la frapper au cœur. Cependant, pour les esprits étroits, pour les vues courtes, la question était vite résolue. Aux yeux des militaires surtout, habitués à ne voir dans le résultat des événements que le triomphe ou la défaite de la force brutale, il s’agissait tout simplement d’une marche sur Paris. Trente mille hommes et vingt pièces de canon mettaient bientôt à néant cet orgueil et cette furie victorieuse des Parisiens.

Jamais la royauté n’avait eu plus de conseillers ; chacun donnait son avis hautement, publiquement.

Les plus modérés disaient :

— C’est bien simple.

Cette forme de langage, on le remarquera, est presque toujours appliquée, chez nous, aux situations les plus difficiles.

— C’est bien simple, disaient-ils, que l’on commence par obtenir de l’Assemblée nationale une sanction qu’elle ne refusera pas. Son attitude depuis quelque temps est rassurante pour tout le monde ; elle ne veut pas plus de violences parties d’en bas que d’abus lancés d’en haut L’Assemblée déclarera tout net que l’insurrection est un crime ; que des citoyens qui ont des représentants pour exposer leurs doléances au roi, et un roi pour leur faire justice, ont tort de recourir aux armes et de verser le sang.