Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/223

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des conseillers royaux, et le mouvement menaçant de leurs attitudes. Par l’étude de cette espèce de fantasmagorie, ils pouvaient deviner que la réponse serait mauvaise.

En effet, le roi se contenta de répondre qu’il nommerait des chefs à la milice bourgeoise, et qu’il ordonnerait aux troupes du Champ de Mars de se replier.

Quant à sa présence à Paris, il ne voulait faire cette faveur à la ville rebelle que lorsqu’elle se serait complètement soumise.

La députation pria, insista, conjura. Le roi répondit que son cœur était déchiré, mais qu’il ne pouvait rien de plus.

Et, satisfait de ce triomphe momentané, de cette manifestation d’un pouvoir qu’il n’avait déjà plus, le roi rentra chez lui.

Il y trouva Gilbert. Le garde du corps était près de lui.

— Que me veut-on ? demanda le roi.

Le garde du corps s’approcha de lui, et tandis qu’il s’excusait auprès de Louis XVI d’avoir manqué à sa consigne, Gilbert, qui depuis longues années n’avait pas vu le roi, examinait en silence cet homme que Dieu avait donné pour pilote à la France, au moment de la plus rude tempête que la France eût encore subie.

Ce corps gros et court, sans ressort et sans majesté, cette tête molle de formes et stérile d’expression, cette jeunesse pâle aux prises avec une vieillesse anticipée, cette lutte inégale d’une matière puissante contre une intelligence médiocre à laquelle l’orgueil du rang donnait seule une valeur intermittente, tout cela, pour le physionomiste qui avait étudié avec Lavater, pour le magnétiseur qui avait lu dans l’avenir avec Balsamo, pour le philosophe qui avait rêvé avec Jean— Jacques, pour le voyageur enfin qui avait passé en revue toutes les races humaines, tout cela signifiait: dégénérescence, abâtardissement, impuissance, ruine.

Gilbert fut donc interdit, non par le respect, mais par la douleur, en contemplant ce triste spectacle.

Le roi s’avança vers lui.

— C’est vous, dit-il, qui m’apportez une lettre de monsieur de Necker ? — Oui, sire. — Ah ! s’écria-t-il, comme s’il eut douté, venez vite.

Et il prononça ces paroles du ton d’un homme qui se noie et qui crie. Un câble !

Gilbert tendit la lettre au roi. Louis s’en empara aussitôt, la lut précipitamment; puis, avec un geste qui ne manquait pas d’une certaine noblesse de commandement :

— Laissez-nous, monsieur de Varicourt, dit-il au garde du corps. Gilbert demeura seul avec le roi.