Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/270

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Mais, dit Charny en insistant, vous avez prononcé un nom ? — Un nom ? — Oui, en revenant à vous.

Andrée regarda la reine comme pour en appeler à elle ; mais soit que la reine ne comprît point ou ne voulût point comprendre :

— Oui, dit-elle, vous avez prononcé le nom de Gilbert. — Gilbert ! J’ai prononcé le nom de Gilbert ! s’écria Andrée avec un accent tellement empreint d’épouvante, que le comte fut plus ému de ce cri qu’il ne l’avait été de l’évanouissement. — Oui, fit-il, vous avez prononcé ce nom. — Ah ! vraiment ? reprit Andrée, c’est étrange !

Et peu à peu, comme le ciel se referme après l’éclair, la physionomie de la jeune femme, si violemment altérée à ce nom fatal, reprit sa sérénité, et à peine quelques muscles de ce beau visage continuèrent-ils à tressaillir imperceptiblement, comme s’évanouissent à l’horizon les dernières lueurs de la tempête.

— Gilbert, répéta-t-elle, je ne sais. — Oui, Gilbert, répéta la reine. Voyez, cherchez, ma chère Andrée. — Mais, Madame, dit le comte à Marie-Antoinette, si c’est le hasard, et que ce nom soit étranger à la comtesse ? — Non, dit Andrée ; non, il ne m’est point étranger. C’est celui d’un savant homme, d’un habile médecin qui arrive d’Amérique, je crois, et qui s’est lié là-bas avec monsieur de Lafayette. — Eh bien ? demanda le comte. — Eh bien ! répéta Andrée avec un naturel parfait, je ne le connais pas personnellement, mais on dit que c’est un homme fort honorable. — Alors, reprit la reine, pourquoi cette émotion, chère comtesse ? — Cette émotion ! Ai-je donc été émue ? — Oui, on eût dit qu’en prononçant ce nom de Gilbert vous éprouviez comme une torture. — C’est possible ; voilà ce qui est arrivé : j’ai rencontré dans le cabinet du roi un homme vêtu de noir, un homme à la figure sévère, qui parlait de choses sombres et terribles ; il racontait avec une affreuse réalité les assassinats de monsieur de Launay et de monsieur de Flesselles. J’en ai été épouvantée, et je suis tombée en faiblesse, comme vous avez vu. Peut-être alors ai-je parlé ; peut-être alors ai-je prononcé le nom de ce monsieur Gilbert. — C’est possible répéta monsieur de Charny, évidemment disposé à ne pas pousser l’interrogatoire plus avant ; mais à cette heure, vous êtes rassurée, n’est-ce pas ? — Complètement. — Je vais alors vous prier d’une chose, monsieur le comte, dit la reine. — Je suis, Madame, aux ordres de Votre Majesté. — Allez trouver messieurs de Bezenval, de Broglie et de Lambesc, dites-leur de faire cantonner leurs troupes dans les positions où elles se trouvent, le roi verra demain en conseil ce qu’il y a à faire.

Le comte s’inclina, mais prêt à sortir il jeta un dernier regard sur Andrée.