Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/301

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votre âme. — Monsieur ! Monsieur ! s’écria la reine en frappant l’air de ses bras, comme pour repousser Gilbert qui se tenait à plus de trois pas d’elle. — Et cependant, continua Gilbert, vous m’avez fait enfermer à la Bastille. Vous ne regrettez qu’elle soit prise que parce que le peuple, en la prenant, m’en a ouvert les portes. Votre haine éclate dans vos yeux contre un homme à qui vous n’avez personnellement rien à reprocher. Et, tenez, tenez, je le sens, depuis que je détends l’influence avec laquelle je vous contenais, qui sait si vous ne recommencez pas à reprendre le doute avec la respiration.

Et, en effet, depuis que Gilbert avait cessé de lui commander des yeux et de la main, Marie-Antoinette s’était relevée presque menaçante, comme l’oiseau qui, débarrassé des suffocations de la cloche pneumatique, essaie de reprendre ses chants, son vol.

— Ah ! vous doutez, vous raillez, vous méprisez. Eh bien ! voulez-vous que je vous dise, Madame, une idée terrible qui m’a passé par l’esprit, voilà ce que j’ai été sur le point de faire. Madame : je vous condamnais à me révéler vos peines les plus intimes, vos secrets les plus cachés ; je vous forçais à les écrire ici sur cette table, que vous touchez en ce moment, et plus tard réveillée, revenue à vous, je vous eusse prouvé par votre écriture même combien est peu chimérique ce pouvoir que vous semblez contester ; combien surtout est réelle la patience, le dirai-je ? oui, je le dirai, la générosité de l’homme que vous venez d’insulter, que vous insultez depuis une heure, sans qu’il vous en ait un seul instant donné le droit ou le prétexte. — Me forcer à dormir, me forcer à parler en dormant, moi ! moi ! s’écria la reine toute pâlissante, vous l’eussiez osé, Monsieur ? Mais savez-vous ce que c’est que cela ? Connaissez-vous la portée de la menace que vous me faites ? Mais c’est un crime de lèse-majesté. Monsieur. Songez-y, c’est un crime qu’une fois réveillée, une fois remise en possession de moi-même, un crime que j’eusse fait punir de mort. — Madame, dit Gilbert suivant du regard l’émotion vertigineuse de la reine, ne vous hâtez pas d’accuser et surtout de menacer. Certes, j’eusse endormi Votre Majesté ; certes, j’eusse arraché à la femme tous ses secrets, mais, croyez-le bien, ce n’eût certes pas été dans une occasion comme celle-ci, ce n’eût point été dans un tête à tête entre la reine et son sujet, entre la femme et un homme étranger ; non, j’eusse endormi la reine, c’est vrai, et rien ne m’eût été plus facile, mais je ne me fusse point permis de l’endormir, je ne me fusse point permis de la faire parler sans avoir un témoin. — Un témoin ? — Oui, Madame, un témoin qui eût recueilli fidèlement toutes vos paroles, tous vos gestes, tous les détails enfin de la scène que j’eusse provoquée, afin, cette scène accomplie, de ne pas vous laisser à vous-même un