Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/309

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

que vous cherchiez à le tirer de son palais, qui est une forteresse, pour l’exposer seul et nu à ses ennemis acharnés ; vous n’avez pas le désir de faire assassiner le roi, n’est-ce pas, monsieur Gilbert ? — Si je croyais que Votre Majesté eût un instant l’idée que je sois capable d’une pareille trahison, je ne serais pas un insensé, je me regarderais comme un misérable. Mais, Dieu merci ! Madame, vous n’y croyez pas plus que moi-même. Non, je suis venu donner ce conseil à mon roi, parce que je crois le conseil bon et même supérieur à tous les autres.

La reine crispa ses doigts sur sa poitrine avec tant de violence, qu’elle fit craquer la batiste sous sa pression.

Le roi haussa les épaules avec un léger mouvement d’impatience.

— Mais, pour Dieu ! dit-il, écoutez-le, Madame ; il sera toujours temps de dire non quand vous l’aurez entendu. — Le roi a raison, Madame, dit Gilbert ; car, ce que j’ai à dire à Vos Majestés, vous ne le savez point : vous vous croyez, Madame, au milieu d’une armée sûre, dévouée, prête à mourir pour vous, erreur ! parmi les régiments français, moitié conspire avec les régénérateurs pour l’idée révolutionnaire. — Monsieur ! s’écria la reine, prenez garde, vous insultez l’armée ! — Tout au contraire, Madame, dit Gilbert, j’en fais l’éloge. On peut respecter sa reine et se dévouer à son roi, tout en aimant sa patrie et en se dévouant à sa liberté.

La reine lança sur Gilbert un regard flamboyant comme un éclair.

— Monsieur, lui dit-elle, ce langage… — Oui, ce langage vous blesse, Madame, je comprends cela ; car, selon toute probabilité, Votre Majesté l’entend pour la première fois. — Il faudra bien s’y accoutumer, murmura Louis XVI avec le bon sens résigné qui faisait sa principale force. — Jamais ! s’écria Marie-Antoinette, jamais ! — Voyons ! écoutez, écoutez ! s’écria le roi ; je trouve ce que dit le docteur plein de raison.

La reine se rassit frémissante.

Gilbert continua.

— Je disais donc, Madame, que j’ai vu Paris, moi, et que vous n’avez pas même vu Versailles. Savez-vous ce que veut faire en ce moment Paris ? — Non, dit le roi inquiet. — Il ne veut pas prendre une seconde fois la Bastille, peut-être, dit la reine avec mépris. — Assurément non, Madame, continua Gilbert ; mais Paris sait qu’il y a une autre forteresse entre le peuple et son roi. Paris se propose de réunir les députés des quarante-huit districts qui le composent, et d’envoyer ces députés à Versailles. — Qu’ils y viennent, qu’ils y viennent ! s’écria la reine avec une farouche joie. Oh ! ils y seront les bien reçus. — Attendez, Madame, répondit Gilbert, et prenez garde, ces députés ne viendront pas seuls. — Et avec qui viendront-ils ? — Ils viendront ap-