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ras pas cette victime !… Je te l’arracherai, moi, et cela, tiens, avec ce bras si faible, si maigre, qui te menace en ce moment, et te voue à l’exécration du monde et à la vengeance de Dieu !

Et, disant ces mots avec une violence de haine qui eût effrayé les plus furieux amis de la révolution, s’il leur eût été donné de voir et d’entendre, la reine étendit vers Paris son bras faible et resplendissant sous la dentelle comme une épée qui jaillit de son fourreau.

Puis elle appela madame Campan, celle de ses femmes en laquelle elle avait le plus de confiance, et s’enferma dans son cabinet, en consignant la porte pour tout le monde.


XXXV

LE PLASTRON


Le lendemain se leva, brillant et pur comme la veille, un soleil éblouissant, qui dorait les marbres et le sable de Versailles.

Les oiseaux groupés par milliers sur les premiers arbres du parc saluaient de leurs cris assourdissants le nouveau jour de chaleur et de gaieté promis à leurs amours.

La reine était levée à cinq heures. Elle fit prier le roi de passer chez elle aussitôt qu’on l’aurait réveillé.

Louis XVI, un peu fatigué par la réception d’une députation de l’Assemblée qui était venue la veille, et à laquelle il avait été forcé de répondre, c’était le commencement des discours, Louis XVI avait dormi un peu plus tard pour réparer sa fatigue, et pour qu’il ne fût pas dit qu’en lui la nature perdrait quelque chose.

Aussi, à peine l’eut-on habillé, que la prière de la reine lui parvint comme il passait l’épée ; il fronça légèrement le sourcil.

— Quoi ! dit-il, la reine est déjà levée ? — Oh ! depuis longtemps, sire. — Est-elle malade encore ? — Non, sire. — Et que me veut la reine de si bon matin ? — Sa Majesté ne l’a pas dit.

Le roi prit un premier déjeuner, qui se composait d’un premier bouillon avec un peu de vin, et passa chez Marie-Antoinette.

Il trouva la reine tout habillée, comme pour la cérémonie, belle, pâle, imposante. Elle accueillit son mari avec ce froid sourire qui brillait comme un soleil d’hiver sur les joues de la reine, alors que, dans les grandes réceptions de la cour, il fallait jeter un rayon à la foule.