Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/330

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un patriote ? demanda une femme. — Heu ! fit le garde national.

Gilbert sourit encore.

— Mais je te dis, répliqua le premier contradicteur, que ce n’est pas le prince ; le prince est gras, celui-là est maigre ; le prince a un habit de commandant des gardes, celui-là est en habit noir, c’est l’intendant.

Un murmure désobligeant accueillit la personne de Gilbert défiguré par ce titre peu flatteur.

— Eh non ! mort diable ! cria une grosse voix au son de laquelle tressaillit Gilbert. La voix d’un homme qui, avec ses coudes et ses poings, se fit passage vers la voiture ; non, ce n’est ni monsieur de Beauvau ni son intendant, c’est un brave et fameux patriote et même le plus fameux des patriotes. Eh ! monsieur Gilbert, que diable faites-vous dans le carrosse d’un prince ? — Tiens, c’est vous, père Billot, s’écria le docteur. — Pardieu ! je me suis bien gardé de manquer l’occasion, répondit le fermier. — Et Pitou ? demanda Gilbert. — Oh ! il n’est pas loin. Holà ! Pitou, avance ici ; voyons, passe.

Et Pitou, sur cette invitation, se glissa, par un rude jeu des épaules, jusqu’auprès de Billot, et vint saluer avec admiration Gilbert.

— Bonjour, monsieur Gilbert, dit-il. — Bonjour, Pitou ; bonjour, mon ami. — Gilbert ! Gilbert ! qui est cela ? demanda la foule. — Ce que c’est que la gloire ! pensait le docteur. Bien connu à Villers-Cotterets, oui, mais à Paris, vive la popularité !

Il descendit du carrosse, qui se remit à aller au pas, et, s’appuyant sur le bras de Billot, il continua la route à pied au milieu de la foule.

Il raconta alors en peu de mots au fermier sa visite à Versailles, les bonnes dispositions du roi et de la famille royale. Il fit en quelques minutes une telle propagande de royalisme dans ce groupe, que, naïfs et charmés, ces braves gens, encore faciles aux bonnes impressions, poussèrent un long cri de vive le roi ! qui s’en alla, grossi par les files précédentes, assourdir Louis XVI en son carrosse.

— Je veux voir le roi, dit Billot électrisé, il faut que je le voie de près. J’ai fait le chemin pour cela. Je le veux juger par son visage. Un œil d’hoinête homme, cela se divine. Approchons, approchons, monsieur Gilbert, voulez-vous ? — Attendez, cela va nous être aisé, dit Gilbert, car je vois un aide de camp de monsieur de Beauvau qui cherche quelqu’un de ce côté.

En effet, un cavalier, manœuvrant avec toutes sortes de précautions parmi ces groupes de marcheurs fatigués, mais joyeux, cherchait à gagner la portière du carrosse qu’avait quitté Gilbert.

Gilbert l’appela.

— N’est-ce pas le docteur Gilbert que vous cherchez. Monsieur ? de-