Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/35

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

glu et des gluaux, c’est vrai ; mais je ne sais pas faire du fil de laiton : cela s’achète tout fait chez les épiciers. — Et combien cela coûte-t-il ? — Oh ! avec quatre sous, dit Pitou en calculant sur ses doigts, j’en ferai bien deux douzaines. — Et avec deux douzaines, combien peux-tu prendre de lapins ? — C’est selon comme ça donne, quatre, cinq, six peut-être, et puis ça sert plusieurs fois, les collets, quand le garde ne les trouve pas. — Tiens, voilà quatre sous, dit la tante Angélique, va acheter du fil de laiton chez monsieur Dambrun, et va demain à la chasse aux lapins. — J’irai demain les poser, dit Pitou, mais ce n’est qu’après demain matin que je saurai s’il y en a de pris. — Eh bien ! soit ; va toujours.

Le fil de laiton était moins cher à la ville qu’à la campagne, attendu que les marchands d’Haramont se fournissent à Villers-Cotterets. Pitou eut donc vingt-quatre collets pour trois sous. Il rapporta un sou à sa tante.

Cette probité inattendue dans son neveu toucha presque la vieille fille. Elle eut un instant l’idée, l’intention de gratifier son neveu de ce sou qui n’avait pas eu son emploi. Malheureusement pour Pitou, c’était un sou élargi à coups de marteau, et qui, au crépuscule, pouvait passer pour deux sous. Mademoiselle Angélique songea qu’il ne fallait pas se dessaisir d’une pièce de monnaie qui pouvait rapporter cent pour cent, et elle remit le sou dans sa poche.

Pitou avait remarqué le mouvement, mais ne l’avait pas analysé. Il ne lui serait jamais venu à l’idée que sa tante pût lui donner un sou.

Il se mit à fabriquer ses collets.

Le lendemain, il demanda un sac à mademoiselle Angélique.

— Pourquoi faire ? demanda la vieille fille. — Parce que j’en ai besoin, répondit Pitou.

Pitou était plein de mystères.

Mademoiselle Angélique lui donna le sac demandé, mit au fond la provision de pain et de fromage qui devait servir au déjeuner et au dîner de son neveu, lequel partit au plus tôt pour la Bruyère-aux-Loups.

De son côté, la tante Angélique commença par plumer les douze rouge-gorges qu’elle destina à son déjeuner et à son dîner. Elle porta deux grives à l’abbé Fortier, et alla vendre les quatre autres à l’aubergiste de la Boule-d’Or, qui les lui paya trois sous la pièce, et qui lui promit de lui prendre au même prix toutes celles qu’elle lui apporterait.

La tante Angélique rentra rayonnante. La bénédiction du ciel était entrée dans sa maison avec Pitou.

— Ah ! dit-elle en mangeant ses rouge-gorges, qui étaient gras comme des ortolans et fins comme des becfigues, on a bien raison de dire qu’un bienfait n’est jamais perdu.