Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/371

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roman de sa vie pour l’histoire de tous, et essayant d’organiser la prospérité en généralisant la misère.

Pitou le suivit, comme toujours.

Tous deux furent introduits dans le cabinet où travaillait le docteur.

— Docteur, dit Billot, je retourne à ma ferme. — Et pourquoi cela ? demanda Gilbert. — Parte que je hais Paris. — Ah ! oui, je comprends, dit froidement Gilbert, vous êtes las. — Excédé. — Vous n’aimez plus la révolution ? — Je voudrais la voir finie.

Gilbert sourit tristement.

— Elle commence, dit-il. — Oh ! fit Billot. — Cela vous étonne. Billot ? demanda Gilbert. — Ce qui m’étonne, c’est votre sang-froid. — Mon ami, demanda Gilbert à Billot, savez-vous d’où me vient ce sang-froid ? — Il ne peut venir que d’une conviction. — Précisément. — Et quelle est cette conviction ? — Devinez. — Que tout finira bien ?

Gilbert sourit plus tristement encore que la première fois.

— Non, au contraire, de la conviction que tout finira mal.

Billot se récria.

Quant à Pitou, il écarquilla des yeux énormes : il trouvait l’argumentation peu logique.

— Voyons, dit Billot en se grattant l’oreille avec sa grosse main, voyons, car je ne comprends pas bien, il me semble.

— Prenez une chaise, Billot, dit Gilbert, et vous placez bien près de moi.

Billot obéit.

— Bien près, plus près, que vous m’entendiez, mais que personne ne m’entende. — Et moi, monsieur Gilbert, demanda timidement Pitou, faisant signe qu’il était prêt à se retirer si Gilbert le désirait. — Oh ! non, reste, dit le docteur. Tu es jeune, écoute.

Pitou ouvrit des oreilles égales à la circonférence de ses yeux et s’assit à terre près de la chaise du père Billot.

C’était un assez curieux spectacle que celui d’un conciliabule pareil, tenu par ces trois hommes dans le cabinet de Gilbert, auprès d’un bureau écrasé de lettres, de papiers, d’imprimés frais et de journaux, à quatre pas d’une porte qu’assiégeaient, sans pouvoir la forcer, des solliciteurs ou des plaignants, contenus par un commis vieux, presque aveugle et manchot.

— J’écoute, dit Billot ; expliquez-vous, maître. Comment tout finira-t-il mal ? — Voici, Billot. Savez-vous ce que je fais en ce moment, mon ami ? — Vous écrivez des lignes. — Mais le sens de ces lignes. Billot ? — Comment voulez-vous que je devine cela, moi qui ne sais pas même les lire.