Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/404

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L’imprudent ! avec ce mot qui, pour tout autre que celle à qui il était adressé, élait un sage conseil, il venait de raviver chez la reine une source à moitié tarie de résistance et de provocation.

— En effet, murmura-t-elle quand il fut parti, cette flamme, enfermée dans ce palais ce soir, va s’étendre dans Versailles cette nuit, et sera demain un incendie pour toute la France. Tous ces soldats, tous ces officiers, qui m’ont donné ce soir de si ardents gages de dévouement, vont être appelés traîtres, rebelles à la nation. Meurtriers de la patrie, on appellera les chefs de ces aristocrates les subalternes des stipendiés de Pitt et Cobourg, des satellites du pouvoir, des barbares, des sauvages du Nord. Chacune de ces têtes qui a arboré la cocarde noire va être désignée au réverbère de la Grève. Chacune de ces poitrines d’où s’échappait si loyalement le cri de : Vive la reine ! sera trouée dans les premières émeutes par les ignobles couteaux et par les piques infâmes. Et c’est encore moi, moi, toujours moi, qui aurai causé tout cela. C’est moi qui condamnerai à mort tant de braves serviteurs, moi, l’inviolable souveraine, qu’autour de moi l’on ménagera par hypocrisie, que loin de moi l’on insultera par haine. Oh ! non, plutôt que d’être à ce point ingrate envers mes seuls, envers mes derniers amis, plutôt qu’être à ce point lâche et sans cœur, je prendrai sur moi la faute. C’est pour moi que tout s’est fait, c’est moi qui endosserai les colères. Nous verrons jusqu’où viendra la haine, nous verrons jusqu’à quel degré de mon trône le flot impur osera monter.

Et pour la reine, ainsi animée par cette insomnie chargée de sombres conseils, le résultat de la journée du lendemain n’était pas douteux.

Le lendemain arriva tout assombri de regrets, tout gros de murmures.

Le lendemain, la garde nationale, à qui la reine venait de distribuer ses drapeaux ; le lendemain, la garde nationale vint, la tête basse, les yeux obliques, remercier Sa Majesté.

Il était facile de deviner dans l’attitude de ces hommes qu’ils n’approuvaient rien, mais qu’ils eussent désapprouvé, au contraire, s’ils eussent osé.

Ils avaient fait partie du cortège ; ils étaient allé à la rencontre du régiment de Flandre ; ils avaient reçu pour le banquet des invitations et les avaient acceptées. Seulement, plus citoyens que soldats, c’étaient eux qui, pendant l’orgie, avaient risqué ces sourdes observations qui n’avaient pas été écoutées.

Ces observations, le lendemain, c’était un reproche, c’était un blâme.

Lorsqu’ils vinrent au palais remercier la reine, une grande foule les escortait.