Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/417

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Lafayette traversa toute cette foule, mit pied à terre au bas des degrés, et sans s’inquiéter des applaudissements mêlés de menaces qu’excitait sa présence, il se mit à dicter une lettre au roi sur l’insurrection qui avait eu lieu le matin.

Il en était à la sixième ligne de sa lettre, lorsque la porte du secrétariat s’ouvrit violemment.

Lafayette leva les yeux. Une députation de grenadiers demandait à être reçue par le général.

Lafayette fit signe à la députation qu’elle pouvait entrer.

Elle entra.

Le grenadier chargé de porter la parole s’avança jusqu’à la table.

— Mon général, dit-il d’une voix ferme, nous sommes députés par dix compagnies de grenadiers ; nous ne vous croyons pas un traître, mais nous croyons que le gouvernement nous trahit. Il est temps que tout cela finisse ; nous ne pouvons pas tourner nos baïonnettes contre des femmes qui nous demandent du pain. Le comité des subsistances malverse ou est incapable ; dans l’un ou l’autre cas, il faut le changer. Le peuple est malheureux, la source du mal est à Versailles. Il faut aller chercher le roi et l’amener à Paris ; il faut exterminer le régiment de Flandre et les gardes du corps, qui ont osé fouler aux pieds la cocarde nationale. Si le roi est trop faible pour porter la couronne, qu’il la dépose. Nous couronnerons son fils. On nommera un conseil de régence, et tout ira au mieux.

Lafayette étonné regarda l’orateur. Il a vu des émeutes, il a pleuré des assassinats, mais c’est la première fois que le souffle révolutionnaire lui frappe en réalité le visage.

Cette possibilité que voit le peuple de se passer du roi l’étonne, fait plus que de l’étonner, le confond.

— Eh quoi ! s’écrie-t-il, avez-vous donc le projet de faire la guerre au roi et de le forcer à nous abandonner ? — Mon général, répond l’orateur, nous aimons et nous respectons le roi ; nous serions bien fâchés qu’il nous quittât, car nous l’aimons beaucoup. Mais enfin, s’il nous quittait,nous avons le dauphin. — Messieurs, Messieurs, dit Lafayette, prenez garde à ce que vous faites ; vous touchez à la couronne, et il est de mon devoir de ne pas le souffrir. — Mon général, répliqua le garde national en s’inclinant, nous donnerions pour vous jusqu’à la dernière goutte de notre sang. Mais le peuple est malheureux, la source du mal est à Versailles, il faut aller chercher le roi et l’amener à Paris, le peuple le veut.

Lafayette voit qu’il lui faut payer de sa personne. C’est une nécessité devant laquelle il n’a jamais reculé.