Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/418

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Il descend au milieu de la place de l’hôtel de ville, et veut haranguer le peuple, mais les cris : À Versailles ! à Versailles ! couvrent sa voix.

Tout à coup une grande rumeur se fait entendre du côté de la rue de la Vannerie. C’est Bailly qui se rend à l’hôtel de ville à son tour.

À la vue de Bailly, les cris : Du pain ! du pain ! À Versailles ! à Versailles ! éclatent de tous côtés.

Lafayette, à pied, perdu dans la foule, sent que le flot monte de plus en plus et va l’engloutir.

Il fend la foule pour arriver à son cheval avec une ardeur pareille à celle du naufragé qui fend la vague pour arriver à un rocher.

Il l’atteint, s’élance en selle, et le pousse du côté du perron ; mais le chemin est complètement fermé entre lui et l’hôtel de ville ; des murailles d’hommes ont poussé.

— Morbleu ! mon général, crient ces hommes, vous resterez avec nous.

En même temps, toutes les voix crient : À Versailles ! à Versailles !

Lafayette flotte, hésitant. Oui, sans doute, en se rendant à Versailles il peut être très-utile au roi ; mais sera-t-il le maître de toute cette foule qui le pousse à Versailles ? Maîtrisera-t-il ces vagues qui lui ont fait perdre la terre du pied, et contre lesquelles il sent qu’il lutte lui-même pour son propre salut ?

Tout à coup un homme descend les degrés du perron, fend la foule une lettre à la main, fait si bien des pieds et des mains, et surtout des coudes, qu’il arrive jusqu’à Lafayette.

Cet homme, c’est l’infatigable Billot.

— Tenez, général, dit-il, voilà de la part des trois-cents.

C’est ainsi qu’on appelait les électeurs.

Lafayette rompit le cachet et essaya de lire la lettre tout bas ; mais vingt mille voix crient ensemble :

— La lettre ! la lettre !

Force est donc à Lafayette de lire la lettre tout haut. Il fait un signe pour demander qu’on se taise. Au même instant, comme par miracle, le silence succède à cet immense tumulte, et sans qu’on en perde un seul mot, Lafayette lit la lettre suivante :

« Vu les circonstances et le désir du peuple, et sur la représentation de monsieur le commandant général qu’il était impossible de s’y refuser, elle autorise monsieur le commandant général, et même lui ordonne de se transporter à Versailles.

« Quatre commissaires de la commune l’accompagneront ».

Le pauvre Lafayette n’avait absolument rien représenté à messieurs