Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/435

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que l’affection s’était retirée, et qui cependant, tout glacé qu’il était, s’offrait jusqu’à la mort, la mettait mal à son aise. Donc, à trois heures du matin, comme nous avons dit, tout était tranquille.

Gilbert était sorti du château avec monsieur de Lafayette, qui était resté douze heures à cheval et qui tombait de fatigue : à la porte, il avait rencontré Billot, venu avec la garde nationale. Billot avait vu partir Gilbert ; il pensait que Gilbert pouvait avoir besoin de lui là-bas, et il était venu le rejoindre comme le chien vient rejoindre son maître parti sans lui. A trois heures, comme nous avons dit, tout était tranquille, L’Assemblée elle-même, rassurée par le rapport de ses huissiers, s’était retirée.

On espérait bien que cette tranquillité ne serait pas troublée.

On comptait mal.

Dans presque tous les mouvements populaires qui préparent les grandes révolutions, il y a un temps d’arrêt pendant lequel on croit que tout est fini et que l’on peut dormir tranquille.

On se trompe.

Derrière les hommes qui sont les premiers mouvements, il y a ceux qui attendent que ce premier mouvement soit fait et que, fatigues ou satisfaits, dans l’un ou l’autre cas ne voulant pas aller plus loin, ceux qui ont accompli ce premier mouvement se reposent. C’est alors qu’à leur tour ces hommes inconnus, mystérieux agents des passions fatales, se glissent dans les ténèbres, reprennent le mouvement où il a été abandonné, et, le poussant jusqu’à ses dernières limites, épouvantent à leur réveil ceux qui leur ont ouvert le chemin et qui s’étaient couchés à la moitié de la route, croyant la route faite, croyant le but atteint.

Il y eut impulsion bien différente pendant cette nuit terrible, donnée par deux troupes arrivées à Versailles, l’une le soir, l’autre pendant la nuit.

La première venait parce qu’elle avait faim, et elle demandait du pain.

La seconde venait par haine, et elle demandait vengeance.

Nous savons qui conduisait la première troupe. Maillard et Lafayette.

Maintenant, qui conduisait la seconde ? l’histoire ne nomme personne.

Mais, à défaut de l’histoire, la tradition nomme : Marat !

Nous le connaissons, nous l’avons vu, lors des fêtes du mariage de Marie-Antoinette, coupant des jambes sur la place Louis XV. Nous l’avons vu sur la place de l’hôtel de ville, poussant les citoyens vers la place de la Bastille.