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pas assez longtemps pour que ma présence déplaise à Votre Majesté.

La reine le suivit ; des traces de sang maculaient le parquet, la reine les vit. La reine ferma les yeux, et, cherchant un bras pour la guider, elle prit celui de Charny et marcha ainsi pendant quelques pas en aveugle.

Tout à coup elle sentit Charny frissonner de tout son corps.

— Qu’y a-t-il, Monsieur ? demanda-t-elle en rouvrant les yeux. Puis tout à coup :

— Un cadavre ! un cadavre ! s’écria-t-elle. — Votre Majesté m’excusera de lui quitter le bras, dit-il. J’ai trouvé ce que je venais chercher chez elle : le cadavre de mon frère Georges.

C’était en effet celui du malheureux jeune homme à qui son frère avait ordonné de se faire tuer pour la reine.

Il avait ponctuellement obéi.


LVI

MORT DE GEORGES DE CHARNY


Le récit que nous venons de faire a déjà été fait de cent manières différentes, car c’est bien certainement un des plus intéressants de cette grande période écoulée de 1789 à 1795, et qu’on appelle la révolution française.

Il sera fait de cent autres manières encore : mais, nous l’affirmons d’avance, personne ne l’aura fait avec plus d’impartialité que nous.

Mais après tous ces récits, le nôtre compris, il en restera encore autant à faire, car l’histoire n’est jamais complète. Cent mille témoins ont chacun leur version ; cent mille détails différents ont chacun leur intérêt et leur poésie, par cela même qu’ils sont différents.

Mais à quoi serviront tous les récits, si véridiques qu’ils soient ? Jamais leçon politique a-t-elle instruit un homme politique ?

Les larmes, les récits, et le sang des rois ont-ils jamais eu la puissance de la simple goutte d’eau qui creuse les pierres ?

Non, les reines ont pleuré ; non, les rois ont été égorgés, et cela sans que leurs successeurs aient jamais profité de la cruelle instruction donnée par la fortune.

Les hommes dévoués ont prodigué leur dévouement sans que ceux-là en aient profité que la fatalité avait destinés au malheur.