Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/454

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Pitou se préparait à accomplir scrupuleusement sa tâche, qui tenait à la fois du gouverneur et de la gouvernante.

Au reste, c’était plein de confiance en lui-même qu’il emmenait le petit Sébastien ; il voyageait tranquillement, traversant les villages pleins de mouvement et d’effroi depuis les événements de Paris, dont, on se le rappelle, on était fort proche encore, car, quoique nous ayons mené, nous, les événements jusqu’au 5 et 6 octobre, on se rapelle que c’était vers la fin de juillet ou le commencement d’août que Pitou et Sébastien avaient quitté Paris.

Pitou, d’ailleurs, avait conservé pour coiffure son casque et pour arme son grand sabre. C’était tout ce qu’il avait gagné aux événements du 13 et du 14 juillet ; mais ce double trophée suffisait à son ambition, et, en lui donnant un air formidable, suffisait en même temps à sa sûreté.

D’ailleurs, cet air formidable, auquel concourait indubitablement ce casque et ce sabre de dragon, Pitou l’avait conquis indépendamment d’eux. On n’a pas assisté à la prise de la Bastille, on n’y a pas concouru même sans avoir conservé quelque chose d’héroïque.

Pitou était en outre devenu un peu avocat.

On n’a pas entendu les motions de l’hôtel de ville, les discours de monsieur Bailly, les harangues de monsieur de Lafayette, sans devenir quelque peu orateur, surtout si l’on a déjà étudié les Conciones latins, dont l’éloquence française à la fin du dix-huitième siècle était une copie assez pâle, mais cependant assez exacte.

Muni de ces deux forces puissantes, qu’il savait adjoindre à deux poings vigoureux, à une rare aménité de sourire, et à un appétit des plus intéressants, Pitou voyageait donc agréablement sur la route de Villers-Cotterets.

Pour les curieux de politique, il avait des nouvelles ; d’ailleurs, il les faisait au besoin, ayant habité Paris où, dès cette époque, la fabrication en était remarquable.

Il contait comment monsieur Berthier avait laissé d’immenses trésors enfouis, que la commune déterrerait quelque jour. Comment monsieur de Lafayette, le parangon de toute gloire, l’orgueil de la France provinciale, n’était déjà plus à Paris qu’un mannequin à moitié usé, dont le cheval blanc défrayait les faiseurs de calembours. Comment monsieur Bailly, que Lafayette honorait de sa profonde amitié, ainsi que les autres personnes de sa famille, était un aristocrate, et les mauvaises langues disaient autre chose encore.

Lorsqu’il contait tout cela, Pitou soulevait des orages de colère, mais il possédait le quos ego de toutes ces tempêtes ; il racontait des anecdotes inédites sur l’Autrichienne.