Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/473

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Catherine pâlit.

— Mais qu’appelle-t-on les aristocrates ? demanda-t-elle. — Mais, dam ! ceux qui ont de grosses terres, ceux qui ont de beaux châteaux, ceux qui affament la nation, ceux qui ont tout quand nous n’avons rien. — Encore ? fit impatiemment Catherine. — Les gens qui ont les beaux chevaux et les belles voitures, quand nous allons, nous, à pied. — Mon Dieu ! s’écria la jeune fille pâlissant de manière à devenir livide. Pitou remarqua cette altération dans ses traits.

— J’appelle aristocrates des personnes de votre connaissance. — De ma connaissance ? — De notre connaissance ? dit la mère Billot. — Mais qui donc cela ? insista Catherine. — Monsieur Berthier de Savigny, par exemple. — Monsieur Berthier de Savigny ? — Qui vous a donné les boucles d’or que vous portiez le jour où vous dansiez avec monsieur Isidore. — Eh bien ? — Eh bien ! j’ai vu des gens qui mangeaient son cœur, moi qui vous parle.

Un cri terrible s’échappa de toutes les poitrines. Catherine se renversa sur la chaise qu’elle avait prise.

— Tu as vu cela ? dit la mère Billot tremblante d’horreur. — Et monsieur Billot aussi l’a vu. — Oh ! mon Dieu ! — Oui, à l’heure qu’il est, continua Pitou, on doit avoir tué ou brûlé tous les aristocrates de Paris et de Versailles. — C’est affreux ! murmura Catherine. — Affreux ! et pourquoi donc ? Vous n’êtes pas une aristocrate, vous, madame Billot.

— Monsieur Pitou, dit Catherine avec une sombre énergie, il me semble que vous n’étiez pas si féroce avant de partir pour Paris. — Et je ne le suis pas davantage. Mademoiselle, dit Pitou fort ébranlé ; mais… — Mais alors ne vous vantez pas des crimes que commettent les Parisiens, puisque vous n’êtes pas Parisien, et que vous n’avez pas commis ces crimes. — Je les ai si peu commis, dit Pitou, que monsieur Billot et moi nous avons failli être assommés en défendant monsieur Berthier. — Oh ! mon bon père ! mon brave père ! je le reconnais bien là ! s’écria Catherine exaltée. — Mon digne homme ! dit la mère Billot les yeux humides. Et qu’a-t-il donc fait ?

Pitou raconta la terrible scène de la place de Grève, le désespoir de Billot, et son désir de revenir à Villers-Cotterets.

— Que n’est-il revenu, alors ? dit Catherine avec un accent qui renuia profondément le cœur de Pitou, comme un de ces présages sinistres que les devins savaient faire pénétrer si profondément dans les cœurs. La mère Billot joignit les mains.

— Monsieur Gilbert n’a pas voulu, dit Pitou. — Monsieur Gilbert veut-il donc qu’on tue mon homme ? dit madame Billot en sanglotant.

— Veut-il que la maison de mon père soit perdue ? ajouta Catherine