Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/477

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filles se compromettre ainsi, entraînant toujours des garçons derrière elles ? — Mais vous n’êtes pas une jeune fille, vous, articula Pitou, puisque vous êtes la maîtresse de la maison. — Allons ! assez causé, dit brusquement la mère Billot, la maîtresse de la maison a bien des choses à faire. Viens, Catherine, que je te remette la maison, selon les ordres de ton père.

Alors commença, aux yeux de Pitou ébahi, immobile, une cérémonie qui ne manqua ni de grandeur ni de poésie dans sa rustique simplicité. La mère Billot tira ses clés du trousseau, les remit l’une après l’autre à Catherine, et lui donna le compte fait du linge, des bouteilles, des meubles ci ; des provisions. Elle conduisit sa fille au vieux secrétaire chiffonnier en marqueterie de l’année 1738 ou 1740, dans le secret duquel le père Billot enfermait ses papiers, ses louis d’or : tout le trésor et les archives de la famille.

Catherine se laissa gravement investir de l’omnipotence et des secrets ; elle questionna sa mère avec sagacité, réfléchit à chaque réponse, et sembla, le renseignement une fois reçu, l’avoir enfermé dans les profondeurs de sa mémoire et de sa raison, comme une arme réservée aux besoins de la lutte.

Après l’examen des objets, la mère Billot passa aux bestiaux, dont on fit le recensement avec exactitude.

Moutons valides ou malades, agneaux, chèvres, poules, pigeons, chevaux, bœufs et vaches. Mais ce fut là une simple formalité. La jeune fille, sur cette branche de l’exploitation, était depuis longtemps l’administrateur spécial.

Nul mieux que Catherine ne connaissait la volaille aux gloussements rudes, les agneaux, familiers avec elle au bout d’un mois, les pigeons qui la connaissaient si bien que souvent ils venaient l’enfermer en pleine cour dans les ellipses de leur vol, souvent aussi se poser sur son épaule, après l’avoir saluée à ses pieds par le mouvement étrange de va-et-vient qui caractérise l’ours en ses rêveries.

Les chevaux hennissaient quand s’approchait Catherine. Seule, elle savait faire obéir les plus fougueux. L’un d’eux, poulain élève de la ferme, et devenu un étalon inabordable, rompait tout dans l’écurie pour venir à Catherine chercher dans ses mains et ses poches la croûte de pain dur qu’il y savait toujours trouver.

Rien n’était beau et provoquant au sourire comme cette belle fille blonde, aux grands yeux bleus, au cou blanc, aux bras ronds, aux mains potelées, lorsqu’elle s’approchait, son tablier plein de graines, de la place nette auprès de la mare, à l’endroit où le sol, battu et salpètré, sonnait sous le grain qu’elle y semait à poignées.