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heure ; je rattraperai cette heure sur les jambes de mon cheval, et, ajouta-t-elle en riant, c’est une bonne bête qui n’en dira rien. Ce fut tout, la vision s’éteignit, l’obscurité se fit dans l’âme de Pitou, comme elle se faisait dans la nature, et, se roulant dans la bruyère, le pauvre garçon se laissa aller aux élans naïfs de sa douleur.

La fraîcheur de la nuit le rendit à lui-même.

— Je ne retournerai pas à la ferme, dit-il ; j’y serais humilié, bafoué ; j’y mangerais le pain d’une femme qui aime un autre homme, et un homme, je dois l’avouer, qui est plus beau, plus riche et plus élégant que moi. Non, ma place n’est plus à Pisseleux, mais à Haramont, à Haramont, dans mon pays, où je trouverai peut-être des gens qui ne s’apercevront pas que j’ai les genoux faits comme des nœuds de serviette.

Cela dit, Pitou frotta ses bonnes longues jambes et s’achemina vers Haramont, où, sans qu’il s’en doutât, sa réputation et celle de son casque et de son sabre l’avaient précédé, et où l’attendaient, sinon le bonheur, du moins de glorieuses destinées.

Mais, on le sait, ce n’est point l’attribut de l’humanité d’être parfaitement heureux.


LXII

PITOU ORATEUR


Cependant, en arrivant à Villers-Cotterets vers les dix heures du soir, après en être parti six heures auparavant et avoir fait dans l’intervalle l’immense tournée que nous avons essayé de décrire, Pitou comprit que, si triste qu’il fût, mieux valait s’arrêter à l’hôtel du Dauphin et coucher dans un lit que coucher à la belle étoile, sous quelque hêtre ou sous quelque chêne de la forêt.

Car, de coucher dans une maison d’Haramont, en y arrivant à dix heures et demie du soir, il n’y fallait pas songer ; il y avait une heure et demie que toutes les lumières étaient éteintes et toutes les portes fermées.

Pitou s’arrêta donc à l’hôtel du Dauphin, où, moyennant une pièce de trente sons, il eut un excellent lit, un pain de quatre livres, un morecau de fromage et un pot de cidre.

Pitou était à la fois fatigué et amoureux, fourbu et désespéré ; et en