Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/508

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— Tiens, c’est Pitou, dit-il. — Pour vous servir si j’en étais capable, monsieur l’abbé, fit Ange avec courtoisie.

L’abbé plia son journal, ou plutôt le ferma comme il eût fait d’un portefeuille, car, à cette heureuse époque, les journaux n’étaient encore que de petits livres.

Puis, son journal fermé, il le passa dans sa ceinture, du côté opposé à son martinet.

— Ah ! oui ; mais voilà le malheur, répondit l’abbé en goguenardant, c’est que tu n’en es pas capable. — Oh ! monsieur l’abbé ! — Entends-tu, monsieur l’hypocrite. — Oh ! monsieur l’abbé ! — Entendez-vous, monsieur le révolutionnaire. — Allons, bon ; voilà qu’avant que j’aie parlé, vous vous mettez en colère contre moi. C’est bien mal commencer, monsieur l’abbé.

Sébastien, qui savait ce que depuis deux jours l’abbé Fortier avait dit de Pitou à tout venant, aima mieux ne pas assister à la querelle qui ne pouvait manquer d’éclater incessamment entre son ami et son maître, et s’éclipsa.

Pitou regarda s’éloigner Sébastien avec une certaine douleur. Ce n’était pas un allié bien vigoureux, mais c’était un enfant de la même communion politique que lui.

Aussi à sa disparition hors du cadre de la porte, poussa-t-il un soupir, et, revenant à l’abbé :

— Ah çà ! voyons, monsieur l’abbé, dit-il, pourquoi m’appelez-vous révolutionnaire ? Est-ce que c’est moi par hasard qui suis cause qu’on a fait la révolution ? — Tu as vécu avec ceux qui la font. — Monsieur l’abbé, dit Pitou avec une dignité suprême, chacun est libre de sa pensée. — Oui-da ? — Est penès hominem arbitrium est ratio. — Ah bah ! fit l’abbé, tu sais donc le latin, cuistre ? — Je sais ce que vous m’en avez appris, répondit modestement Pitou. — Oui, revu, corrigé, augmenté et embelli de barbarismes. — Bon, monsieur l’abbé, des barbarismes ! Eh ! mon Dieu, qui n’en fait pas ? — Drôle ! dit l’abbé visiblement blessé de cette tendance que l’esprit de Pitou paraissait avoir à généraliser, crois-tu que j’en fasse des barbarismes, moi ? — Vous en feriez aux yeux d’un homme qui serait plus fort latiniste que vous. — Voyez-vous cela ! fit l’abbé pâle de colère, et cependant frappé de ce raisonnement qui ne manquait pas d’une certaine force. Puis avec mélancolie :

— Voilà en deux mots, continua l’abbé, le système de ces scélérats : ils détruisent et dégradent au profit de qui ? ils ne le savent pas eux-mêmes ; au profit de l’inconnu. Voyons, monsieur le cancre, parlez à cœur ouvert. Connaissez-vous quelqu’un qui soit plus fort latiniste que