Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/51

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En effet : Il est perdu ! ne signifiait pas autre chose que : Je suis perdue !

Le danger était imminent. La tante Angélique prit une résolution suprême : elle se leva, comme si un ressort l’eût mise sur ses jambes, et courut chez l’abbé Fortier pour lui demander des explications, et surtout pour tenter vis-à-vis de lui un dernier effort.

Pitou suivit des yeux sa tante jusque sur le seuil de la porte ; puis, lorsqu’elle eut disparu, il s’approcha à son tour jusque sur ce seuil, et la vit s’acheminer, avec une vitesse dont il n’avait aucune idée, vers la rue de Soissons. Dès lors, il n’eut plus de doute sur les intentions de mademoiselle Angélique, et fut convaincu qu’elle se rendait chez son professeur.

C’était tout au moins un quart d’heure de tranquillité. Pitou songea à utiliser ce quart d’heure que la Providence lui accordait. Il ramassa les restes du dîner de sa tante pour nourrir ses lézards, attrapa deux ou trois mouches pour ses fourmis et ses grenouilles ; puis, ouvrant successivement la huche et l’armoire, il s’occupa de se nourrir lui-même, car avec la solitude l’appétit lui était revenu.

Toutes ces dispositions prises, il revint guetter sur la porte, afin de n’être point surpris par le retour de sa seconde mère.

Mademoiselle Angélique s’intitulait la seconde mère de Pitou.

Tandis qu’il guettait, une belle jeune fille passa au bout du Pleux, suivant la ruelle qui conduit de l’extrémité de la rue de Soissons à celle de la rue de Lormet. Elle était montée sur la croupe d’un cheval chargé de deux paniers, l’un rempli de poulets, l’autre de pigeons ; c’était Catherine. En apercevant Pitou sur le seuil de sa tante, elle s’arrêta.

Pitou rougit selon son habitude, puis demeura la bouche béante, regardant, c’est-à-dire admirant, car mademoiselle Billot était pour lui la dernière expression de la beauté humaine.

La jeune fille lança un coup d’œil dans la rue, salua Pitou d’un petit signe de tête, et continua son chemin. Pitou répondit en tressaillant d’aise.

Cette petite scène dura tout juste assez de temps pour que le grand écolier, tout entier à sa contemplation, et continuant de regarder la place où avait été mademoiselle Catherine, n’aperçut point sa tante qui revenait de chez l’abbé Fortier, et lui tout à coup lui saisit la main en pâlissant de colère.

Ange, réveillé en sursaut au milieu de son beau rêve par cette commotion électrique que lui causait toujours le toucher de mademoiselle Angélique, se retourna, reporta les yeux du visage courroucé de sa tante Angélique à sa propre main, et se vit avec terreur nanti d’une énorme moitié de tartine sur laquelle apparaissaient trop généreusement appliquées deux couches de beurre frais et de fromage blanc superposées.

Mademoiselle Angélique poussa un cri de fureur, et Pitou un gémisse-