Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/514

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rain où il désirait se trouver depuis la discussion ; monsieur l’abbé, vous savez comme j’ai toujours eu du respect pour votre caractère. — Ah ! oui, parlons de cela. — Et de l’admiration pour votre science, ajouta Pitou. — Serpent ! dit l’abbé. — Moi, fit Pitou. Oh ! par exemple. — Voyons, qu’as-tu à me demander ? Que je te reprenne ici ? Oh ! non, non, je ne gâterai pas mes écoliers ; non, il te resterait toujours le venin nuisible. Tu infesterais mes jeunes plantes : infecti pabula tabo. — Mais, monsieur l’abbé. — Non, ne me demande pas cela, si tu veux absolument manger, car je présume que les farouches pendeurs de Paris mangent comme d’honnêtes gens. Cela mange ! ô dieux ! Enfin, si tu exiges que je te jette ta part de viande saignante, tu l’auras. Mais à la porte, dans les sportules, comme à Rome les patrons donnaient à leurs chiens. — Monsieur l’abbé, dit Pitou en se redressant, je ne vous demande pas ma nourriture ; j’ai ma nourriture. Dieu merci ! et je ne veux être à charge à personne. — Ah ! fit l’abbé surpris. — Je vis comme tous les êtres vivent, sans mendier, et de l’industrie que la nature a mise en moi. Je vis de mes travaux, et, il y a plus, je suis si loin d’être à charge à mes concitoyens, que plusieurs d’entre eux m’ont élu chef. — Hein ! fit l’abbé avec une telle surprise, mêlée d’un tel effroi, qu’on eût dit qu’il avait marché sur un aspic. — Oui, oui, m’ont élu chef, répéta Pitou complaisamment. — Chef de quoi ? demanda l’abbé. — Chef d’une troupe d’hommes libres, dit Pitou. — Ah ! mon Dieu ! s’écria l’abbé, le malheureux est devenu fou. — Chef de la garde nationale d’Haramont, acheva Pitou, affectant la modestie.

L’abbé se pencha vers Pitou pour mieux voir sur ses traits la confirmation de ses paroles.

— Il y a une garde nationale à Haramont ! s’écria-t-il. — Oui, monsieur l’abbé. — Et tu en es le chef ? — Oui, monsieur l’abbé. — Toi, Pitou ? — Moi, Pitou.

L’abbé leva ses bras tordus vers le ciel, comme le grand prêtre Phinée.

— Abomination de la désolation ! murmura-t-il. — Vous n’ignorez pas, monsieur l’abbé, dit Pitou avec douceur, que la garde nationale est une institution destinée à protéger la vie, la liberté et les propriétés des citoyens. — Oh ! oh ! continua le vieillard abîmé dans son désespoir. — Et que, continua Pitou, on ne saurait donner trop de force à cette institution, surtout dans les campagnes, à cause des bandes. — Des bandes dont tu es le chef ! s’écria l’abbé ; des bandes de pillards, des bandes de brûleurs, des bandes d’assassins ! — Oh ! ne confondez pas  ; cher monsieur l’abbé ; vous verrez mes soldats, je l’espère, et jamais plus honnêtes citoyens… — Tais-toi ! tais-toi ! — Figurez-vous, au contraire, monsieur l’abbé, que nous sommes vos protecteurs naturels, et la preuve, c’est que