Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/527

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fayette, et il est de l’écriture de ton père. — Alors, répliqua fièrement l’enfant, pourquoi donc hésite-t-on à obéir ?

Et dans son œil aux pupilles dilatées, dans ses narines frémissantes, dans la rigidité de son front, il révéla l’implacable esprit dominateur des deux races qui l’avaient créé.

L’abbé entendit ces paroles qui sortaient de la bouche de cet enfant ; il frissonna, et baissa la tête.

— Trois générations d’ennemis contre nous ! murmura-t-il. — Allons, monsieur l’abbé, dit le maire, il faut s’exécuter ! L’abbé fit un pas en froissant les clés qu’il tenait à sa ceinture par un reste d’habitude monastique.

— Non ! mille fois non ! s’écria-t-il ; ce n’est pas ma propriété, et j’attendrai l’ordre de mon maître. — Ah ! monsieur l’abbé ! fit le maire, qui ne pouvait se dispenser de désapprouver. — C’est de la rébellion, dit Sébastien au prêtre ; prenez garde, cher monsieur. — Tu quoque ! murmura l’abbé Fortier en se couvrant de sa soutane pour imiter le geste de César. — Allons, allons, monsieur l’abbé, dit Pitou, soyez tranquille ; ces armes seront bien placées pour le bonheur de la patrie. — Tais-toi, Judas ! répondit l’abbé : tu as bien trahi ton vieux maître, pourquoi ne trahirais— tu pas la patrie ?

Pitou, écrasé par sa conscience, courba le front. Ce qu’il avait fait n’était pas d’un noble cœur, si c’était d’un habile administrateur d’hommes.

Mais en baissant la tête, il vit de côté ses deux lieutenants, qui semblaient dépités d’avoir un chef si faible.

Pitou comprit que s’il manquait son effet, son prestige était détruit. L’orgueil tendit le ressort de ce vaillant champion de la révolution française.

Relevant donc la tête :

— Monsieur l’abbé, dit-il, si soumis que je sois à mon ancien maître, je ne laisserai point passer sans commentaires ces injurieuses paroles. — Ah ! tu commentes maintenant ? dit l’abbé, espérant démonter Pitou par ses railleries. — Oui, monsieur l’abbé, je commente, et vous allez voir que mes commentaires sont justes, dit Pitou. Vous m’appelez un traître parce que vous m’avez refusé bénévolement les armes que je vous demandais l’olivier à la main, et que je vous arrache aujourd’hui à l’aide d’un ordre du gouvernement. Eh bien ! monsieur l’abbé, j’aime mieux paraître avoir trahi mes devoirs que d’avoir donné la main à favoriser avec vous la contre-révolution. Vive la patrie ! Aux armes ! aux armes

Le maire lit à Pitou le pendant du signe qu’il avait fait à l’abbé en disant :