Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/533

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Le père Clouïs répandit doucement dans les villages environnants, par l’intermédiaire des bonnes femmes qui venaient acheter ses lièvres ou ses lapins, que les jeunes filles qui, le jour de la Saint-Louis, se laisseraient glisser trois fois du haut en bas de sa pierre, seraient mariées dans l’année.

La première année, beaucoup de jeunes filles vinrent, mais pas une n’osa glisser.

L’année suivante, trois se hasardèrent : deux furent mariées dans l’année ; quant à la troisième, qui resta fille, le père Clouïs affirma hardiment que si un mari lui avait manqué, c’est qu’elle ne s’était pas laissé glisser avec la même foi que les autres.

L’année d’ensuite, toutes les jeunes filles des environs accoururent et glissèrent.

Le père Clouïs déclara qu’il n’y aurait jamais assez de garçons pour tant de filles ; que cependant un tiers des glisseuses, et ce seraient les plus croyantes, se marieraient.

Bon nombre en effet se maria. À partir de ce moment, la réputation matrimoniale de la Pierre-Clouïse fut établie, et tous les ans, la Saint-Louis eut une double fête, fête dans la ville, fête dans la forêt.

Alors le père Clouïs demanda un privilége. Comme on ne pouvait pas glisser toute la journée sans manger et sans boire, ce fut d’avoir le monopole, pendant cette journée du 25 août, de vendre à boire et à manger aux glisseurs et aux glisseuses, car les jeunes gens étaient parvenus à persuader aux jeunes filles que, pour que la vertu du rocher fût infaillible, il fallait glisser ensemble, et surtout en même temps.

Depuis trente-cinq ans, le père Clouïs vivait ainsi. Le pays le traitait comme les Arabes traitent leurs marabouts. Il était passé à l’état de légende.

Mais, surtout, ce qui préoccupait les chasseurs et faisait crever les gardes de jalousie, c’est qu’il était avéré que le père Clouïs ne tirait par an que trois cent soixante-cinq coups de fusil, et que, sur ces trois cent soixante-cinq coups, il tuait cent quatre-vingt-trois lièvres et cent quatre-vingt-deux lapins.

Plus d’une fois des seigneurs de Paris, invités par le duc d’Orléans à venir passer quelques jours au château, ayant entendu raconter l’histoire du père Clouïs, étaient venus, selon leur générosité, déposer un louis ou un écu dans sa grosse main, et ils avaient essayé de surprendre ce secret bizarre d’un homme qui tue trois cent soixante-cinq fois sur trois cent soixante-cinq coups.

Mais le père Clouïs n’avait pas su leur donner d’autre explication que celle-ci : c’est-à-dire qu’à l’armée il avait pris, avec ce même fusil,