Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/539

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ser la lisière des terres de Boursonne guetter Catherine, toujours fidèle à ses rendez-vous.

Catherine qui, dérobant une ou deux heures par juur aux travaux de la maison, allait joindre à un petit pavillon situé au milieu d’une parenne dépendant du château de Boursonne, le bien-aimé Isidore, cet heureux mortel, toujours plus fier, toujours plus beau, quand tout souffrait et s’abaissait autour de lui.

Que d’angoisses il dévora, le pauvre Pitou, qu’elles tristes rénexions il fut réduit à faire sur l’inégalité des hommes en matière de félicité ! Lui que recherchaient les filles d'Haramont, de Taillefontaine et de Viviers, lui qui eût aussi trouvé ses rendez-vous dans la forêt, et qui, au lieu de se pavaner comme un amant heureux, aimait mieux venir pleurer comme un enfant battu, devant cette porte fermée du pavillon de monsieur Isidore.

C’est que Pitou aimait Catherine, qu’il l’aimait passionnément, qu’il l’aimait d’autant plus qu’il la trouvait supérieure à lui. Il ne réfléchissait même plus à cela, qu’elle en aimait un autre. Non, pour lui, Isidore avait cessé d’être un objet de jalousie. Isidore était un seigneur, Isidore était beau, Isidore était digne d’être aimé ; mais Catherine, une fille du peuple, aurait dû peut-être ne pas déshonorer sa famille, ou tout au moins elle eût dû ne pas désespérer Pitou. C’est que lorsqu’il réfléchissait, la réflexion avait des pointes bien aiguës, des lancinations bien cruelles.

— Eh quoi ! se disait Pitou, elle a manqué de cœur au point de me laisser partir. Et depuis que je suis parti, elle n’a pas même daigné s’informer si j’étais mort de faim. Que dirait le père Billot, s’il savait qu’on abandonne ainsi ses amis, qu’on néglige ainsi ses affaires ? Que dirait-il s’il savait qu’au lieu d’aller veiller au travail des ouvriers, l’intendante de la maison s’en va faire l’amour avec monsieur de Charny, un aristocrate ! Le père Billot ne dirait rien. Il tuerait Catherine. C’est pourtant bien quelque chose, songeait en lui-même Pitou, que d’avoir enire les mains la facilité d’une pareille vengeance. Oui, mais c’était beau de ne pas s’en servir. Toutefois, Pitou l’avait éprouvé déjà, les belles actions méconnues ne bénéficient pas à ceux qui les ont faites. Ne serait-il donc pas possible de faire savoir à Catherine que l’on faisait de si belles actions ?

Eh ! mon Dieu ! rien n’était plus aisé : il ne s’agissait que d’aborder Catherine un jour de dimanche, à la danse, et de lui dire comme par hasard un de ces mots terribles qui révèlent aux coupables qu’un tiers a pénétré leur secret.