Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/541

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pitou n’eut qu’à descendre de sa branche et à s’adosser au tronc de l’arbre. Arrivé là, il tira un livre de sa poche, le Parfait Garde national, qu’il fit semblant de lire.

Une heure après, le bruit d’une porte qu’on referme parvint à l’oreille de Pitou. Le froissement d’une robe dans le feuillage se fit entendre. La tête de Catherine apparut hors des ramées, regardant d’un air effrayé autour d’elle si personne ne pouvait la voir.

Elle était à dix pas de Pitou.

Pitou, immobile et impassible, tenait son livre sur ses genoux. Seulement il ne faisait plus semblant de lire, et il regardait Catherine avec l’intention que Catherine vît bien qu’il la regardait. Catherine poussa un petit cri étouffé, reconnut Pitou, devint pâle comme si la mort eût passé près d’elle et l’eût touchée, et, après une courte indécision qui se trahit dans le tremblement de ses mains et le demi-élan de ses épaules, elle se jeta à corps perdu dans la forêt, et retrouva dans la forêt son cheval, sur lequel elle s’enfuit. Le piège de Pitou avait bien joué, et Catherine s’y était prise. Pitou revint à Haramont à moitié heureux, à moitié effrayé. Car à peine se fut-il rendu compte par le fait de ce qu’il venait d’accomplir, qu’il aperçut dans cette simple démarche une quantité d’effrayants détails auxquels d’abord il n’avait pas songé. Le dimanche suivant était désigné à Haramont pour une solennité militaire.

Suffisamment instruits, ou s’étant déclarés tels, les gardes nationaux du village avaient prié leur commandant de les assembler et de leur faire faire un exercice public.

Quelques villages voisins, émus de rivalité, et qui avaient aussi fait des études militaires, devaient venir à Haramont pour établir une sorte de lutte avec leurs aînés dans la carrière des armes. Une députation de chacun de ces villages s’était entendue avec l’état major de Pitou ; un laboureur, ancien sergent, les commandait. L’annonce d’un si beau spectacle fit accourir une quantité de curieux endimanchés, et le Champ de Mars d’Haramont fut envahi dès le matin par une foule de jeunes filles et d’enfants, auxquels se joignirent plus lentement, mais avec non moins d’intérêt, les pères et les mères des champions.

Ce furent u’abord des collations sur l’herbe, frugales débauches de fruits et de galettes arrosés par l’eau de la source. Bientôt après quatre tambours retentirent dans quatre directions différentes, venant de Largny, de Vez, de Taillefontaine et de Viviers. Haramont était devenu un centre ; il avait ses quatre points cardinaux.