Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/56

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ville, voilà pourtant comme ils élèvent la jeunesse, dans la fainéantise et l’inutilité. À quoi un pareil gaillard,  ! je vous le demande, peut-il être bon à ses frères ? — Oh ! à pas grand’chose, dit Pitou, je le sais bien. Heureusement que je n’ai pas de frères. — Par frères, dit Billot, j’entends tous les hommes en général. Voudrais-tu dire que tous les hommes ne sont pas frères, par hasard ? — Oh ! si fait ; d’ailleurs, c’est dans l’Évangile. — Et égaux, continua le fermier. — Ah ! ça, c’est autre chose, dit Pitou, si j’avais été l’égal de l’abbé Fortier, il ne m’aurait pas si souvent donné du martinet, de la férule ; et si j’avais été l’égal de ma tante, elle ne m’aurait pas chassé. — Je te dis que tous les hommes sont égaux, reprit le fermier, et nous le prouverons bientôt aux tyrans. — Tyrannis ! reprit Pitou. — Et la preuve, continua Billot, c’est que je te prends chez moi. — Vous me prenez chez vous, mon cher monsieur Billot ; n’est-ce pas pour vous moquer de moi que vous me dites de pareilles choses ? — Non. Voyons, que te faut-il pour vivre ? — Dam ! trois livres de pain à peu près par jour. — Et avec ton pain ? — Un peu de beurre ou de fromage. — Allons, allons, dit le fermier, je vois que tu n’es pas difficile à nourrir. Eh bien ! on te nourrira. — Monsieur Pitou, dit Catherine, n’avez-vous rien autre chose à demander à mon père ? — Moi, Mademoiselle ? oh ! mon Dieu, non ! — Et pourquoi donc êtes-vous venu ici, alors ? — Parce que vous y veniez. — Ah ! voilà qui est tout à fait galant, dit Catherine ; mais je n’accepte le compliment que pour ce qu’il vaut. Vous êtes venu, monsieur Pitou, pour demander à mon père des nouvelles de votre protecteur. — Ah ! c’est vrai, dit Pitou. Tiens, c’est drôle, je l’avais oublié. — Tu veux parler de ce digne monsieur Gilbert ? dit le fermier d’un ton de voix qui indiquait le degré de profonde considération qu’il avait pour son propriétaire. — Justement, dit Pitou ; mais je n’en ai plus besoin maintenant ; et, puisque monsieur Billot me prend chez lui, je puis attendre tranquillement son retour d’Amérique. — En ce cas-là, mon ami, tu n’auras pas à attendre longtemps, car il en est revenu. — Bah ! fit Pitou ; et quand cela ? — Je ne sais pas au juste ; mais ce que je sais, c’est qu’il était au Havre il y a huit jours ; car il y a là, dans mes fontes, un paquet qui vient de lui, qu’il m’a adressé en arrivant, et qu’on m’a remis ce matin même à Villers-Cotterets, et la preuve, c’est que le voilà. — Qui vous a donc dit que c’était lui, mon père ? — Parbleu ! puisqu’il y avait une lettre dans le paquet. — Excusez, mon père, dit en souriant Catherine ; mais je croyais que vous ne saviez pas lire. Je vous dis cela, papa, parce que vous vous vantez de ne pas le savoir. — Oui-da, je m’en vante ! Je veux qu’on puisse dire : « Le père Billot ne doit rien à personne, pas même à un maître d’école ; il a fait sa fortune par lui-même, le père Billot ! Voilà ce que je veux qu’on puisse