Page:Dumas - Ange Pitou, 1880.djvu/82

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Elle ne put achever, les sergents reparaissaient et le double louis tomba aux pieds de Pitou.

Pitou le ramassa vivement. En effet, les sergents étaient sur le seuil de la porte où ils demeurèrent un instant, étonnés de voir libre celui qu’ils avaient si bien garrotté il n’y avait qu’un instant. À leur vue, les cheveux de Pitou se hérissèrent sur sa tête, et il se rappela confusément le in crinibus angues des Euménides.

Les sergents et Pitou restèrent un instant dans la situation du lièvre et d’un chien d’arrêt, immobiles et se regardant. Mais, au moindre mouvement du chien le lièvre détale, au premier mouvement des sergents Pitou fit un bond prodigieux et se trouva de l’autre côté d’une haie.

Les sergents poussèrent un cri qui fit accourir l’exempt, lequel portait une petite cassette sous son bras. L’exempt ne perdit pas son temps en discours et se mit à courir après Pitou. Les deux sergents imitèrent son exemple. Mais il n’étaient pas de force à sauter comme Pitou par-dessus une haie de trois pieds et demi de haut, ils furent donc forcés d’en faire le tour.

Mais quand ils arrivèrent à l’angle de la haie, ils aperçurent Pitou à plus de cinq cents pas dans la plaine, piquant directement sur la forêt, dont il était distant d’un quart de lieue à peine, et qu’il devait gagner en quelques minutes au plus.

En ce moment, Pitou se retourna, et en apercevant les sergents qui se mettaient à sa poursuite plutôt pour l’acquit de leur conscience que dans l’espoir de le rattraper, il redoubla de vitesse et disparut bientôt dans la lisière du bois.

Pitou courut encore un quart d’heure ainsi ; il aurait couru deux heures, si c’eût été nécessaire : il avait l’haleine du cerf, comme il en avait la vélocité.

Mais, au bout d’un quart d’heure, jugeant par instinct qu’il était hors de danger, il s’arrêta, respira, écouta, et, s’étant assuré qu’il était seul :

— C’est incroyable, dit-il, que tant d’événements aient pu tenir dans trois jours.

Et regardant alternativement son double louis et son couteau :

— Oh ! dit-il, j’aurais bien voulu avoir le temps de changer mon double louis, et de rendre deux sous à mademoiselle Catherine, car j’ai bien peur que ce couteau-là ne coupe notre amitié. N’importe, ajouta-t-il, puisqu’elle m’a dit d’aller à Paris aujourd’hui ; allons-y.

Et Pitou, après s’être orienté, reconnaissant qu’il se trouvait entre Boursonne et Yvors, prit un petit lais qui devait le conduire en droite ligne aux bruyères de Gondreville qui traverse la route de Paris.