Page:Dumas - Georges, 1848.djvu/120

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La gouvernante et la jeune fille descendirent ainsi suivant les bords de la rivière Noire qui allait toujours s’élargissant, et au bout de laquelle on voyait resplendir la baie comme un vaste miroir ; de chaque côté de la rive s’élevait une haute bordure de forêts dont les arbres, comme de longues colonnes, s’élevaient d’un seul jet, cherchant leur place à l’air et au soleil, au milieu de ce vaste dôme de feuillage si épais qu’à peine à de rares intervalles laissait-il voir le ciel, tandis que les racines, pareilles à des serpents nombreux, ne pouvant creuser les roches qui roulent incessamment du haut du morne, les enveloppaient de leurs replis ; à mesure que le lit de la rivière devenait plus large, les arbres des deux rives s’inclinaient, profitant de l’intervalle laissé par l’eau, et formaient une voûte pareille à une tente gigantesque ; tout cela était sombre, solitaire, calme, muet, plein de mélancolique poésie et de réserve mystérieuse ; le seul bruit qu’on entendît était le chant rauque de la perruche à tête grise ; les seuls êtres vivants qu’on aperçût aussi loin que le regard pouvait s’étendre, étaient quelques-uns de ces singes roussâtres nommés aigrettes, qui sont le fléau des plantations, mais qui sont si communs dans l’île, que toutes les tentatives faites pour les détruire ont échoué. De temps en temps seulement, effrayé par le bruit de Sara et de sa gouvernante, un martin-pêcheur vert, à la gorge et au ventre blancs, s’élançait, en poussant un cri aigu et plaintif, des mangliers qui trempaient leurs rameaux dans la rivière, traversait le courant, rapide comme une flèche, brillant comme une émeraude, et allait s’enfoncer et disparaître dans les mangliers de l’autre rive. Or, ces végétations tropicales, ces solitudes profondes, ces harmonies sauvages qui s’harmoniaient si bien ensemble, rochers, arbres et rivière, c’était la nature comme l’aimait Sara, c’était le paysage comme le comprenait son imagination primitive, c’était l’horizon comme ne pouvaient les reproduire ni la plume, ni le crayon, ni le pinceau, mais comme le réfléchissait son âme.

Mamie Henriette n’était point insensible, hâtons-nous de le dire, à ce magnifique spectacle ; mais, comme on le sait, ses craintes éternelles l’empêchaient d’en jouir complétement. Arrivée au sommet d’un petit monticule, d’où l’on apercevait