Page:Dumas - Georges, 1848.djvu/163

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1815, parce que le capitaine Bertrand, qui avait l’esprit très sceptique, n’avait jamais voulu prendre au sérieux la chute de Napoléon ; peut-être aussi cela tenait-il à ce que, n’ayant rien à faire, il avait fait deux voyages à l’île d’Elbe, et que, dans l’un de ces deux voyages, il avait eu l’honneur d’être reçu par l’ex-maître du monde. Ce que l’empereur et le pirate s’étaient dit dans cette entrevue, personne ne le sut jamais ; ce que l’on remarqua seulement, c’est que le capitaine Bertrand revint à bord en sifflotant :

Ran tan ptan tirelire,
Comme nous allons rire !


ce qui était chez le capitaine Bertrand le signe de la satisfaction intérieure portée au plus haut degré ; puis le capitaine Bertrand s’en revint à Brest, où, sans rien dire à personne, il commença à remettre la Calypso en état, à faire sa provision de poudre et de boulets et à recruter les quelques hommes qui lui manquaient pour que son équipage se trouvât au grand complet.

De sorte qu’il aurait fallu ne pas connaître son capitaine Bertrand le moins du monde, pour ne pas comprendre qu’il se mitonnait derrière la toile quelque spectacle qui allait bien étonner le parterre.

En effet, six semaines après le dernier voyage du capitaine Bertrand à Porto-Ferrajo, Napoléon débarquait au golfe Juan. Vingt-quatre heures après son débarquement au golfe Juan, Napoléon entrait à Paris, et soixante-douze heures après l’entrée de Napoléon à Paris, le capitaine Bertrand sortait de Brest toutes voiles dehors et le pavillon tricolore à sa corne.

Huit jours ne s’étaient pas écoulés, que le capitaine Bertrand rentrait, traînant à la remorque un magnifique trois-mâts anglais, chargé des plus fines épices de l’Inde, lequel avait éprouvé un si merveilleux étonnement en voyant le drapeau tricolore, qu’il croyait disparu à tout jamais de la surface du globe, qu’il n’avait pas même eu l’idée de faire la plus petite résistance.