Page:Dumas - Georges, 1848.djvu/169

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kraal voisin les cinquante Grands-Namaquois vendus, après quoi le chef hottentot vint prendre au brick les deux pipes de rhum promises. Cet échange fait, les deux négociants se séparèrent enchantés l’un de l’autre, se promettant de ne pas en rester là à l’avenir de leurs relations commerciales.

Le soir même, Jacques rassembla tous les matelots sur le pont, depuis le contre-maître jusqu’au dernier mousse.

Et, après un discours concis, mais éloquent, sur les vertus sans nombre qui ornaient le capitaine Bertrand, il proposa à l’équipage deux choses : la première, de vendre la cargaison qui était complète, puis le bâtiment, qui était d’une défaite facile, et, après avoir partagé les prix de tout selon les droits établis, de se séparer bons amis et d’aller chercher fortune chacun de son côté ; la seconde, de nommer un remplaçant au capitaine Bertrand, et de continuer le négoce sous la raison Calypso et compagnie, déclarant d’avance que, tout lieutenant qu’il était, il se soumettait d’avance à une réélection, et serait le premier à reconnaître le nouveau capitaine qui sortirait du scrutin. À ces paroles, il arriva ce qui devait arriver, Jacques fut élu capitaine par acclamation.

Jacques choisit aussitôt pour second son contremaître, brave Breton, natif de Lorient, et que, par allusion à la dureté remarquable de son crâne, on appelait généralement Tête-de-Fer.

Le même soir, la Calypso, plus oublieuse que la nymphe dont elle portait le nom, fit voile pour les Antilles, déjà consolée, en apparence du moins, non pas du départ du roi Ulysse, mais de la mort du capitaine Bertrand.

En effet, si elle avait perdu un maître, elle en avait trouvé un autre, et qui, certes, le valait bien. Le défunt était un de ces vieux loups de mer qui font toutes choses selon la routine, et non pas selon l’inspiration. Or, il n’en était pas ainsi de Jacques. Jacques était éternellement l’homme de la circonstance, universel en ce qui concernait l’art nautique ; sachant, dans une bataille ou dans une tempête, commander la manœuvre comme le premier amiral venu, et faisant, dans l’occasion, un nœud à la marinière aussi bien que le dernier mousse. Avec Jacques, jamais de repos, et par conséquent jamais d’ennui. Chaque jour amenait une améliora-