Page:Dumas - Georges, 1848.djvu/224

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fixé ; il y avait à une vingtaine de milles un bâtiment qui répondait à ces signaux.

— C’était le Leycester ?

— Justement ; on veut me bloquer ; mais tu comprends, Jacques n’est pas venu au monde hier, le vent est au sud-est, de sorte que le bâtiment ne peut rentrer au Port-Louis qu’en courant des bordées. Or, à ce métier-là, il lui faut une douzaine d’heures au moins pour être à l’île des Tonneliers ; moi, pendant ce temps, je file et je viens te chercher pour filer avec moi.

— Moi, et quelle raison ai-je de partir ?

— Ah ! c’est juste, je ne t’ai rien dit encore. Ah çà, quelle diable d’idée as-tu donc eue de couper la figure de ce joli garçon d’un coup de cravache ? ce n’est pas poli cela.

— Cet homme, ne sais-tu donc pas qui il est ?

— Si fait, puisque je pariais mille louis contre lui. À propos, Antrim est un fier cheval, et tu lui feras mille compliments de ma part.

— Eh bien ! tu ne te rappelles pas que ce même Henri de Malmédie, il y a quatorze ans, le jour du combat…

— Après ?

Georges releva ses cheveux et montra à son frère la cicatrice de son front.

— Ah ! oui, c’est vrai, s’écria Jacques ; mille tonnerres ! tu as de la rancune ; j’avais oublié toute cette histoire. Mais, d’ailleurs, autant que je puis me rappeler, cette petite gentillesse de sa part lui valu de la mienne un coup de poing qui compensait bien son coup de sabre.

— Oui, et j’avais oublié cette première insulte, ou plutôt j’étais prêt à la lui pardonner, lorsqu’il m’en a fait une seconde.

— Laquelle ?

— Il m’a refusé la main de sa cousine.

— Oh ! tu es adorable, toi, ma parole d’honneur. Voilà un père et un fils qui élèvent une héritière comme une caille en mue, pour la plumer à leur aise par un bon mariage, et quand la caille est grasse à point, arrive un braconnier qui veut la prendre pour lui. Allons donc ! est-ce qu’ils pouvaient