Page:Dumas - Georges, 1848.djvu/225

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faire autrement que de te la refuser ! sans compter, mon cher, que nous sommes des mulâtres, pas autre chose.

— Aussi n’est-ce point ce refus que j’ai regardé comme une injure ; mais, dans la discussion, il a levé une baguette sur moi.

— Ah ! dans ce cas, il a eu tort. Alors tu l’as assommé ?

— Non ! dit Georges en riant des moyens de conciliation qui se présentaient toujours, en pareille circonstance, à l’esprit de son frère ; non, je lui ai demandé satisfaction.

— Et il a refusé ; c’est juste, nous sommes des mulâtres. Nous battons quelquefois les blancs, c’est vrai ; mais les blancs ne se battent pas avec nous, fi donc !…

— Et alors je lui ai promis, moi, que je le forcerais bien de se battre.

— Et c’est pour cela que tu lui as envoyé en pleine course, coram populo, comme nous disions au collège Napoléon, un coup de cravache à travers la figure. Ce n’était pas mal imaginé, et le moyen a, ma foi ! manqué de réussir.

— A manqué… que veux-tu dire ?

— Je veux dire qu’effectivement la première idée de monsieur de Malmédie avait été de se battre ; mais personne n’a voulu lui servir de témoin ; et ses amis lui ont déclaré qu’un pareil duel était impossible.

— Alors il gardera le coup de cravache que je lui ai donné ; il est libre.

— Oui ; mais on te garde autre chose, à toi.

— Et que me garde-t-on ? demanda Georges en fronçant le sourcil.

— Comme malgré tout ce qu’on pouvait lui dire, l’entêté voulait absolument se battre, il a fallu, pour le faire renoncer à ce duel, qu’on lui promît une chose.

— Et quelle chose lui a-t-on promise ?

— Qu’un de ces soirs, pendant que tu serais à la ville, on s’embusquerait à huit ou dix sur la route de Moka, qu’on te surprendrait au moment où tu t’y attendrais le moins, qu’on te coucherait sur une échelle, et qu’on te donnerait vingt-cinq coups de fouet.

— Les misérables ! mais c’est le supplice des nègres !