Page:Dumas - Georges, 1848.djvu/269

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vue ne lui fût fatal. Malgré les représentations de Laïza, il avait donc abandonné le brancard sur lequel les nègres l’avaient transporté en se relayant à travers les défilés de la montagne du Pouce ; puis, avec un courage surhumain, avec cette volonté puissante qui commandait chez lui même à la faiblesse physique, il s’était dressé, s’était cramponné au mur, et comme il avait décidé que cela devait être, il s’était montré debout à son père.

Et, en effet, comme il l’avait pensé, le coup avait été ainsi moins violent pour le vieillard.

Mais cette volonté de fer avait cependant plié sous la douleur, et, épuisé par l’effort qu’il avait fait, Georges était, comme nous l’avons dit, retombé évanoui dans les bras de Laïza.

Ce fut quelque chose de terrible à voir, même pour des hommes, que la douleur de ce père ; douleur sans plainte, sans sanglots, muette, profonde et morne. On posa Georges sur un canapé. Le vieillard s’agenouilla devant lui, passa son bras sous la tête de son enfant, et attendit les yeux fixés sur ses yeux fermés, la respiration suspendue devant son haleine absente, tenant la main pendante du blessé dans son autre main ; ne demandant rien, ne s’inquiétant d’aucun détail, ne s’informant d’aucun résultat ; tout était dit pour lui, son fils était là blessé, sanglant, évanoui ; qu’avait-il besoin d’apprendre et que lui faisaient les causes devant ce formidable résultat !

Laïza se tenait debout à l’angle d’un buffet, appuyé sur son fusil, et regardant de temps en temps du côté de la fenêtre si le jour ne revenait pas.

Les autres nègres qui s’étaient respectueusement retirés, après avoir déposé Georges sur son canapé, se tenaient dans la chambre voisine et passaient leurs têtes noires par la porte ; d’autres étaient groupés en dehors devant la fenêtre ; beaucoup étaient blessés plus ou moins dangereusement, mais aucun ne semblait se souvenir de sa blessure.

À chaque instant leur nombre s’augmentait, car tous les fugitifs, après s’être d’abord éparpillés pour éviter la poursuite des Anglais, avaient, par différents chemins, regagné l’habitation, comme, les uns après les autres, des moutons