Page:Dumas - Georges, 1848.djvu/271

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à moins que vous ne préfériez me voir arrêter sous vos yeux, et…

— Et quoi ! demanda Pierre Munier avec anxiété ; que te veulent-ils et que peuvent-ils te faire ?

— Ce qu’ils me veulent, mon père ? se venger de ce qu’un misérable mulâtre a eu la prétention de lutter contre eux, et est arrivé peut-être à les faire trembler un instant. Ce qu’ils peuvent me faire ? oh ! presque rien ! ajouta Georges en souriant, ils peuvent me trancher la tête à la plaine Verte.

Le vieillard pâlit ; puis on le vit frémir de tout son corps ; il était évident qu’il se livrait en lui un combat terrible. Enfin, il releva le front, secoua la tête, et, regardant le blessé :

— Te prendre, murmura-t-il ; te trancher la tête ! me prendre mon enfant, me le tuer ! tuer mon Georges ! Et tout cela parce qu’il est plus beau qu’eux, plus brave qu’eux, plus instruit qu’eux… Ah ! qu’ils y viennent donc !…

Et le vieillard, avec une énergie, dont cinq minutes auparavant on l’aurait cru incapable, s’élança vers sa carabine suspendue à la muraille, et, saisissant l’arme oisive depuis seize ans :

— Oui ! oui ! qu’ils y viennent ! s’écria-t-il, et nous verrons. Ah ! vous lui avez tout pris, messieurs les blancs, à ce pauvre mulâtre ; vous lui avez pris sa considération, et il n’a rien dit ; vous lui eussiez pris sa vie, qu’il n’eût rien dit encore ; mais vous voulez lui prendre son fils ; vous voulez lui prendre son enfant, pour l’emprisonner, pour le torturer, pour lui trancher la tête ! Oh ! venez, messieurs les blancs, et nous allons voir ! Nous avons cinquante ans de haine entre nous ; venez, venez, il est temps que nous fassions nos comptes !

— Bien, mon père ! bien ! s’écria Georges en se relevant sur son coude et en regardant le vieillard d’un œil fiévreux ; bien ! je vous reconnais.

— Eh bien ! oui ! aux grands bois, dit-il, et nous verrons s’ils osent nous y suivre. Oui, mon fils, oui, viens ; mieux valent les grands bois que les villes. On y est sous l’œil de Dieu ; que Dieu nous voie donc et nous juge. Et vous, enfants, continua le mulâtre en s’adressant aux nègres, m’avez-vous toujours trouvé bon maître ?